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Aleksander Sołżenicyn, rys Józef Czapski, lata 70 XX. w. ze zbiorów Leszka Czarneckiego. / Sygn. sm00105
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La conférence de presse de Soljenitsyne

NORBERT ŻABA


Le compte-rendu de Norbert Żaba de la conférence de presse d’Alexandre Soljenitsyne, Stockholm, le 10 décembre 1974

 

Après la conférence de presse et grâce à mon entretien avec un employé du Ministère des affaires étrangères qui veillait à l’emploi du temps de Soljenitsyne, j’ai pu contacter Madame Soljenitsyne qui nous a invités pour 19h, à leur appartement du Grand Hôtel, ce qui m’a permis de lui remettre notre adresse. Soljenitsyne nous a accueillis très chaleureusement, je retransmets littéralement ce qu’il a dit dans mon communiqué. Je l’ai informé que j’avais envoyé 60 exemplaires de son Archipel du Goulag en Pologne et une vingtaine en russe aux Soviétiques. 

La remise du prix Nobel a attiré une soixantaine de journalistes étrangers. En plus étaient présents tous les correspondants permanents et la presse suédoise. Au total deux centaines de personnes dans la salle. Le microphone fonctionnait mal, la traductrice (une Russe) et son assistant traduisaient de manière imprécise et erronée. Soljenitsyne s’exprimait en russe, elle traduisait en anglais ; il n’y avait aucun traducteur suédois. La traductrice perdait parfois des mots ou ne trouvait pas d’équivalents anglais pour cette parole particulière, abrupte ce qui privait souvent l’exposé du fil conducteur et de son tranchant. Soljenitsyne, lui aussi, peu habitué aux interviews de presse, se perdait dans des détails et revenait inutilement à „l’histoire”, ne fournissant parfois pas de réponse aux questions. Les journalistes avaient dû lui déposer des questions par écrit le matin, il les avait reparties par thème, mais certains n’avaient pas eu le temps de les transmettre, aussi acceptait-il de répondre aux questions formulées à l’oral. La conférence a duré de 13h à 17h, avec une seule pause de dix minutes. 

Au milieu des débats, une bonne moitié de participants a quitté la salle, ce qui était dommage parce que, vers la fin, quand Soljenitsyne était déjà un peu fatigué, ses réponses étaient plus ramassées, plus succinctes, et il a justement abordé la thématique de l’idéologie. Mais la télévision suédoise lui avait déjà consacré quinze minutes, et toutes les émissions de radio ne transmettaient que des résumés. 

Je suppose que, dès demain, commencera contre lui une offensive mondiale en règle parce qu’il a attaqué non seulement le communisme mais aussi le socialisme et le marxisme ; il citait Marx lequel avait recommandé de recourir à la même terreur que lors de la Révolution française quand on éliminait par ce moyen des adversaires, et il citait les conseils de Marat. Il a dit aussi qu’il n’était pas socialiste et qu’on le considérait à tort comme tel. 

Il a commencé par la critique des journalistes occidentaux qui cherchaient du sensationnel et non pas le problème moral ou idéologique, et son sens, qui transformaient les pensées des interviewés, qui étaient naïfs et ne comprenaient pas les Soviétiques. 

Il a présenté aussi ses excuses pour le peu d’habitude qu’il avait des conférences de presse (les Suédois lui avaient donné carte blanche, les employés du Ministère des affaires étrangères et de la „sûreté” suédoise ne faisaient que contrôler les identités pour empêcher les personnes indésirables d’entrer ou de manifester ; il n’y pas eu de protestations quand il a attaqué le socialisme plus généralement, mais des applaudissements à maintes reprises. La conférence était pourtant chaotique, l’une des pires auxquelles j’ai assisté dans ma longue vie. Malgré cela, elle était spécialement intéressante parce que très sincère et détaillée au plus haut point. Et spontanée !)

Soljenitsyne reprochait aux journalistes leur „naïveté” quand ils tentaient d’interviewer des „man on the street” ou de faire parler les gens au téléphone à Moscou. Il a commencé par répondre à la question sur l’affaire Raoul Wallenberg, jeune diplomate suédois qui avait sauvé des Juifs hongrois enlevés par les Russes, en 1944. Il pensait que Wallenberg était encore en vie, il reprochait donc aux Juifs de ne pas avoir su mobiliser l’opinion publique mondiale pour s’occuper de celui qui avait sauvé tant de Juifs alors qu’ils avaient le savoir-faire dans ce domaine, et qu’ils avaient réussi à retirer des prisons russes grand nombre de leurs compatriotes. (Maintenant, vous le verrez, on va l’accuser d’antisémitisme). 

Pour lui, le monde devait exiger en premier lieu non pas que les gens émigrent de Russie ou d’autres pays de l’Est, mais exclusivement „Freedom at home” : la paix dans sa propre maison, autrement dit, dans les pays communistes. 

Il parlait de la nécessité de collaborer contre le mal, dans les pays de l’Europe de l’Est, et aussi que chacun devait se lancer et mener le combat contre le mal et la domination dans son propre pays. 

Il constatait qu’il était mal compris et disait qu’il n’était pas l’adversaire de la démocratie en Russie mais qu’à l’heure actuelle, le pays y était encore moins bien préparé qu’en 1917 où l’on avait pourtant perpétré des massacres. Pour cette raison, le système démocratique devait être introduit en Russie progressivement. 

Il parlait aussi de l’Ukraine, de l’Estonie, de la Lettonie et de la Pologne. Il a exprimé son admiration pour la résistance des Lituaniens dans les camps soviétiques. 

Selon lui, le communisme occidental a entouré le XXe Congrès du Parti communiste de l’URSS d’une légende. Staline est coupable du dévoiement du communisme. Certains jeunes communistes soviétiques l’affirment et disent qu’ils ne sont pas capables de le réparer. Medvedev est, pour le régime, un parfait agent de propagande et il crée une fausse opinion sur le communisme à l’usage de l’Occident. Là, Soljenitsyne a longuement polémiqué avec le livre de ce dernier, en argumentant que non seulement Staline, mais aussi Lénine et Marx avaient fait naître la théorie de l’usage nécessaire de la terreur, puis il a dit ne pas croire au socialisme à visage humain. Staline n’avait fait qu’exécuter les ordres de Lénine et de Trotski. Et Lénine avait puisé dans Marx. „Personne ne sait défendre aussi bien le système que Medvedev”.  

Il a aussi formulé une critique virulente du régime de Ceausescu en Roumanie et dit quelque chose sur la Yougoslavie, sur Tito et Mikhaïlov, mais je ne l’ai pas compris. Il parlait d’un „mythe yougoslave”. 

Il a affirmé que les opinions de Sakharov et les siennes – malgré le débat public – se rejoignaient de plus en plus. Il a fait référence à „Kontynenty” n° 2. 

L’opinion publique devrait faire pression sur les Soviétiques pour que les Polonais retenus toujours en Russie puissent rentrer dans leur pays. 

Il était d’avis que les représentants de la culture russe, les dissidents allaient toujours émigrer, exilés de force. Mais cela ne servira à rien, les Soviétiques ne se débarrasseront plus de l’opposition. 

Il est adversaire de la révolution, contre l’effusion de sang, mais il appelle à la „révolution morale”, qui doit aussi être menée en Occident. 

Il a comparé la vie en Occident et à l’Est, critiqué le matérialisme occidental et reproché aux Etats-Unis (aux industriels) d’être prêts à vendre à Moscou leur liberté pour quelques bénéfices immédiats. Il a dit que la révolution ne résolvait pas de problèmes. 

Il désire retourner un jour dans une Russie normale, et il le fera. 

Il s’est dit „choqué” par la mauvaise traduction de ses livres. A l’Est, les traducteurs sont souvent meilleurs parce que les écrivains les plus doués, privés du droit d’écrire ce qu’ils pensent, deviennent traducteurs. 

La littérature n’est pas totalement libre en Occident, l’éditeur intéressé par la vente d’importants tirages encourage l’écrivain à produire de manière à plaire aux goûts des masses. Autrefois, quand l’écrivain prenait la plume uniquement pour une élite, quand le phénomène de la culture de masse n’était pas encore né, l’écrivain était de fait plus libre. 

Ce compte-rendu, quelque peu chaotique, résume toutefois les plus importantes pensées formulées par Soljenitsyne à cette occasion.

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