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Jerzy Giedroyc przy pracy. Maisons-Laffitte, 1980 r. / Sygn. FIL00001
FOT. A. SULIK

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JERZY GIEDROYC


Quand on observe l’histoire de la Pologne à vol d'oiseau, on est frappé par la grande quantité de ses contradictions. L'Etat et la nation sont fondés à partir de tribus très proches les unes des autres, réunies de force par les premiers rois Mieszko Ier et Boleslas le Vaillant. C’est au début un ensemble assez incohérent, les divisions et les particularités de ses différentes provinces ayant longtemps perduré. De plus, le pays est déchiré entre l'Est et l'Ouest. Ce qu’illustre l’histoire de la dynastie des Piast à laquelle se réfèrent volontiers les nationalistes polonais. Les souverains se mariaient, tour à tour, avec des princesses ruthènes ou allemandes qui disposaient d’une importante influence, y compris en politique. Ainsi Richezza de Lorraine, mère de Casimir le Rénovateur, sauve-t-elle la dynastie des Piast et la couronne de son fils, mais son rôle est peu connu et dévoyé au point que le cardinal Wyszyński s’oppose au transfert de sa dépouille en Pologne, lorsque les Allemands le proposent.

Tout au long de son histoire, la Pologne fait preuve d'un étonnant libéralisme : elle accueillie les Juifs et leur octroie des droits à une époque où ils sont pourchassés dans le reste de l'Europe ; de même, quand la Contre-réforme triomphe ailleurs, les protestants, même les antitrinitaires, jouissent, en Pologne, du droit de pratiquer leur culte ; et elle étend aussi sa protection sur l'Académie orthodoxe Mohyla de Kiev. Mais, en même temps, la Pologne a manifesté son fanatisme religieux ce qui a provoqué une croisade contre les hussites, rendant impossible le rapprochement avec le Royaume de Bohême, provoquant ensuite des persécutions des mouvements religieux dissidents.

Notre politique étrangère a été marquée par la constante dépendance d’autres centres, comme le Vatican ou les Habsbourg, tout en se révélant en même temps bien provinciale.
Inutilement, nous nous sommes mêlés de la guerre contre la Turquie. La victoire de Vienne (1683) est autant un grand exploit militaire qu'une erreur politique. Plus tard, au cours de tout le XIXe siècle, c'est précisément la Turquie qui deviendra le foyer de notre action indépendantiste.

Et avec tout cela, l'attractivité de la Pologne était stupéfiante. Nous avons réussi à absorber l’afflux des colons allemands, ceux-là mêmes qui fonderont la bourgeoisie polonaise. Nous avons assimilé une partie de l'intelligentsia juive et polonisé des élites de Lituanie et d’Ukraine. Nous sommes un pays qui partage avec ses voisins les mêmes héros : Adam Mickiewicz est un grand poète polono-lituanien ; Tadeusz Kościuszko et Romuald Traugutt appartiennent à la fois aux Polonais et aux Biélorusses. On pourrait allonger cette liste.

Cet étrange puzzle contient, pour nous, de belles opportunités. Comme par exemple la politique de l’Est. Tout en évitant la mégalomanie nationale, nous devons mener une politique autonome, sans devenir le client des Etats-Unis ou de toute autre superpuissance. Nous devrions avoir, pour notre principal objectif, la normalisation des relations polono-russes et polono-allemandes, et en même temps la défense de l'indépendance de l'Ukraine, de la Biélorussie et des Pays baltes, dans une étroite collaboration avec ces pays. Nous devrions prendre conscience du fait que plus nous renforcerons notre position à l'Est, plus nous compterons en Europe de l'Ouest.

Dans l’histoire de la Pologne, on reprend toujours la même vieille tendance qui consiste à affaiblir le pouvoir exécutif : les célèbres « pacta conventa », l’anarchie de la pleine liberté, le « liberum veto » en sont des exemples. Il faudrait tout d'abord changer la mentalité de notre nation. Cela exige que l’exécutif soit renforcé et plus étroitement contrôlé par la Diète. Cela demande de rebâtir le système parlementaire pour en éliminer ceux qui ne servent que l’esprit partisan de leur camp ou leur intérêt privé. Cela exige l'instauration d'un Etat de droit et un combat intransigeant contre la corruption sous toutes ses formes. Ce qui implique la presse libre et consciente de sa responsabilité. Cela exige aussi la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Et le respect des droits des minorités nationales qui est la condition indispensable au maintien des bonnes relations avec nos voisins. Tout en sachant que le catholicisme est la confession de la majorité, nous devons protéger les Juifs, les Musulmans, les Protestants, tout comme l'orthodoxie qui est la religion de nos citoyens polonais et domine en Russie, en Ukraine, en Biélorussie.

Voici, dans les grandes lignes, ma vision de la Pologne ; pour la réaliser j’ai lutté toute ma vie.
 

Extrait de Autobiografia na cztery ręce (L’Autobiographie à quatre mains) de J. Giedroyc et K. Pomian, 1994

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