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Bohdan Osadczuk / Sygn. min14
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Confessions et révélations d'un polonophile ukrainien


BOHDAN OSADCZUK


A ce que l’on dit, les journalistes, les hommes politiques et les moines ne sont pas autorisés à parler de leur intimité en public. Comment donc, tout en respectant les limites de ma profession, expliquer les raisons de ma polonophilie ? Comment raconter pourquoi j'aime bien les Polonais, et comment l’idée m’est venue de m’impliquer autant dans la cause de la réconciliation polono-ukrainienne ? Il est assez vrai qu'un journaliste dispose rarement de l'occasion de faire une confession personnelle. Puisqu’il traite des affaires publiques, il doit rester dans l’univers des opinions et des arguments au nom de tel ou de tel autre fil conducteur. Puisqu’il s’occupe de formuler, de manière plus ou moins juste et compréhensible, des exposés destinés à un large public, lui-même doit rester une figure anonyme. Il est habituellement déchargé de cette obligation par ses collègues exerçant le même métier, seulement dans sa nécrologie. Comme chaque chose en ce monde, cette tradition d'assistance professionnelle n'est certes pas parfaite. Cette lugubre occasion incite souvent les personnes de nature optimiste à rendre des jugements terriblement convenus. D’autres disposent, à ce moment, de l'unique opportunité de régler enfin leurs comptes qu'ils n'ont pas eu le courage de régler du vivant du malheureux. Mais l'essentiel est que, suivant la nature de ce bas monde et de l’au-delà, l’intéressé n'est plus en mesure d’apporter ses correctifs.

Le seul moyen de se prémunir soi-même contre de telles complications est de célébrer les anniversaires, non pas les siens bien entendu, mais les jubilées des revues pour lesquelles on a écrit quelque chose. Saisissant cette opportunité qui se présente dans la vie de Kultura - même si je ne dis pas encore adieu à mes collègues, à mes lecteurs non plus - j'ai donc décidé de prendre la parole. Mais une fois que je m'y suis mis, j'ai tout de suite compris que c’est une affaire terriblement difficile. Non pas à cause d’une quelconque pusillanimité, de la menace de dépasser la « raison d'Etat » ou autre ligne du parti. De telles précautions ne me concernent pas. Le savent parfaitement des Polonais de l'Est et de l'Ouest qui m'ont longtemps qualifié « d’ataman » qui écrit selon ses propres opinions et sa propre plume. Ceux de mes compatriotes qui lisent Kultura le savent probablement aussi. La difficulté se trouve ailleurs : c'est l'impossibilité de rassembler et départager ce qui, tout au long de ma voie insouciante, hardie, remplie de nombreuses satisfactions, mais aussi d’erreurs et de déceptions, a été important ou insignifiant, d’en faire un classement, d’évaluer les facteurs émotionnels ou purement rationnels pour dresser un bilan de ce qui m’a réellement conduit à aimer les Polonais comme des frères, et pourquoi, depuis un quart de siècle, je prends leur parti sur la scène du journalisme international comme de mes proches, raconter comment une alliance polono-ukrainienne est devenue le but de ma vie. Il est impossible d’enfermer tout cela dans la rigueur des dates, d’en faire un mix et d'extraire de ce mélange, à la manière d’un ordinateur, une brève définition de la chose.

 

A la recherche des traces

 

Pour reconstituer la généalogie de mon amour pour la Pologne et les Polonais, je retourne dans l’esprit aux années de mon enfance passées dans la région de Pińczów-Proszów, chose qui n’a pas été décidée par mes parents, mais par les autorités polonaises qui, avec bien d'autres, ont relégué dans cette région mon père, enseignant et homme de gauche. Là-bas, entre Skalbmierz, Kazimierza Wielka, Chrobrze, Wiślica et Kościelec, je me suis mis à apprendre la Pologne. La pauvreté et la ténacité de ses paysans, la morgue de sa noblesse, la peur dans le cercle communiste, l'idéalisme du mouvement populaire, la stupidité parmi les policiers. Mes premières leçons, je les ai prises auprès des bergers sur les prés, dans les bagarres pendant les noces ivres et chantantes, aux foires et sur les marchés, dans les pauvres bourgades juives aux environs de Kielce, mais aussi dans la sérénité d’un manoir aux murs blancs où vivait une extravagante propriétaire de Boszczynek, qui enseignait le français à ce garnement sale aux pieds nus que j’étais. Et ensuite, sur les traces du passé, nous nous trouverons à Wiślica et Kościelec, dans ses sombres églises et synagogues, sur le banc du lycée installé dans le palais Wielopolski à Pińczów, puis il y aura les premières batailles pour préserver mon identité nationale contre les chantres de l'assimilation de l’endecja, mais aussi la lecture des romans et le journalisme de Burek, Skuza, Morton, partisans du mouvement populaire.

Même la guerre, qui avait noyé nombre de relations polono-ukrainiennes dans le sang et la haine, n'a pas réussi à briser mes anciennes amitiés. Bien au contraire, dans le cercle des jeunes, majoritairement de gauche, de nouveaux liens se sont tissés qui, malgré les divisions ultérieures, ont résisté à l'épreuve du temps. Tout comme ceux de la période d'après-guerre dans la Mission militaire polonaise à Berlin[1] qui, durant plusieurs années, est devenue un asile et en même temps un observatoire qui m’a permis de voir de près l’étrange mixité des Juifs internationaux et des néonationalistes, y déceler les premiers signes des changements à venir et l’approche de la tragédie des Juifs polonais.

 

Le rôle de Kultura

Après mes leçons de polonité à l'enfance, après l’école de la guerre et de l’après-guerre arrivent des années de longues explorations pour trouver un cercle de personnes qui partageraient avec moi l’idée et la conviction que, face à une Ukraine brisée et une Pologne asservie, il n’existe à cette époque, ni à Varsovie ni à Kiev, aucune possibilité de discuter de la période la plus récente de notre histoire commune, fondement de notre future alliance. Ce que les deux décennies suivantes n’ont fait que confirmer. A ce jour, aucun ouvrage sérieux sur les relations polono-ukrainiennes depuis la Première guerre mondiale n'a été publié à Varsovie. Il n'existe pas non plus de manuel sur l'histoire de l'Ukraine au XXe siècle ni d'équivalent ukrainien sur l'histoire récente de la Pologne. Et la façon d’aborder des questions majeures de l'époque, comme en témoignent les discours de Łukaszewicz, Motyka, Syczewski, Tronko[2] ou Malantchuk[3], à l'occasion des Journées polonaises en Ukraine, au printemps 1977, est d’une gênante lâcheté. Après cette parenthèse, reprenons le fil conducteur. Les aléas de mes recherches étaient difficiles et tortueux. Pendant la Guerre froide, plusieurs représentants de la vie politique polonaise se sont exilés à Berlin-Ouest. Ils ont presque tous compris qu’il était nécessaire de faire face aux problèmes et blessures du voisinage polono-ukrainien. Mais il s’est rapidement avéré que cette voie n’allait conduire à rien de nouveau. Quelque temps plus tard, j’ai eu l'occasion de participer à des discussions à Munich, où avait été créée la section polonaise de la Radio Free Europe. C’étaient des débats utiles, agréables, d'autant plus qu'un homme aussi compétent que feu Stanisław Paprocki y avait pris part. Et pourtant, après chacune de ces discussions, une frustration persistait. Plus tard, j'ai saisi de quoi il retournait. Notre dialogue a manqué d’audace pour prendre de véritables décisions et, surtout, pour lancer une vision créatrice. Les raisons en étaient nombreuses : l'ancienne génération issue de la Pologne de la « sanacja » était composée d’épigones, la crainte de chercher un nouveau modèle de relations était visible, et manquait la compréhension de ce qui s'était réellement déroulé, en termes de bouleversements historiques, sur les plaines entre l'Oder, la Vistule, le Bug et le Dniepr. Et il m'est devenu clair que les personnes qui travaillaient dans la Radio Free Europe restaient, somme toute, des fonctionnaires au service des Américains, et ils ne disposaient pas de cet élément subtil, mais décisif pour la vie publique, qu’est la pleine autonomie. Eux aussi ne jouissaient que d’une souveraineté limitée, bien entendu dans une mesure incomparable à celle de leurs collègues de Varsovie ou de Kiev. Jan Nowak-Jeziorański, le directeur de cette rédaction, a su rompre ce schéma, c’était un maquisard averti, avec les bons et les moins bons traits de ce genre de caractères. Dans le rapport de force qu’il avait trouvé, il a su beaucoup faire pour la cause commune. Il comprenait l'importance de l’entente polono-ukrainienne, et il n'avait pas peur, ce qui était essentiel, des conséquences du statut de souveraineté limitée, c’est-à-dire la solution polonaise. Bien que, pour une tout autre raison et plus tard, j’aie eu à croiser mon sabre cosaque avec son épée polonaise, pour ce qui concerne les relations polono-ukrainiennes, je salue sa « tête brulée » de mon couvre-chef ukrainien. Mais même Jan Nowak n'a pu vaincre tous les carcans que faisaient peser, sur le groupe de Munich, les changements de la politique américaine. Nul ne pourra le faire tant qu’il restera au service d'une puissance. L’exemple de la Varsovie « souveraine » ou la Kiev « égale » - qui fait rire les citoyens du bord la Vistule et du Dniepr depuis pas mal de temps – n’est bien entendu que celui du plus inquiétant syndrome de l’esclavage. Mais le partenariat avec la rédaction de Munich comporte, hélas aussi, des éléments clairs de servage. La faute n’incombe pas seulement à la partie polonaise, mais aussi américaine.

Et voilà que, par hasard plutôt, au début des années 1950, je fais la rencontre de Kultura. Plus concrètement de son rédacteur Jerzy Giedroyc et de son guerrier en armure, Jozef Czapski. Jusque-là, Giedroyc restait pour moi une figure anonyme et mythique. Au cours de mon adolescence débraillée, j’avais lu ses revues Bunt Młodych [4] et plus tard Polityka[5] que j’empruntais à un vendeur de journaux de Pińczów, le philosophe juif bossu. Nous nous connaissions donc en quelque sorte, tout comme, dans une bien moindre mesure, me connaissent aujourd’hui certains lecteurs de Kultura. Dans notre premier entretien, il y avait quelque distance et un peu de méfiance. Mais en ce qui me concerne, c’était, par rapport à mes recherches précédentes, un événement décisif. Il est devenu clair que j'avais enfin affaire à un cercle de personnes conscientes de leurs buts, indépendantes dans leur concepts, créatrices de nouveaux contenus, autonomes dans leurs défis présents et futurs. C'est ainsi que notre collaboration a débuté, elle a été d'abord sporadique, plus intense ensuite, récemment, pour le moment, un peu défaillante. Nous avons souvent été en désaccord, et nous le sommes encore. Il y a eu de la confrontation, et nous nous disputons toujours, mais ce conflit permanent est créatif. De sorte que nous nous contrôlons réciproquement, mais, par rapport aux autres systèmes, nous restons autonomes, aucun coup de fouet ne nous menace.

Ici, dans Kultura, j'ai trouvé ce pour quoi je m'étais battu dans mes discussions avec mes collègues polonais pendant et après la guerre. J’ai voulu qu’il y ait de l'audace dans les nouvelles propositions, que l’on dépasse des préjugés séculaires et récents, que l’on comprenne nos intérêts communs et nos nécessités communes, au nom de la liberté partagée.

Giedroyc, cet homme étrange qui mêle la ferme obstination de ses ancêtres lituaniens à la fantaisie polonaise est, du moins pour moi, un phénomène similaire à Piłsudski, Cat-Mackiewicz ou même Félix Dzerjinski. Il y en a eu sûrement bien d'autres mais, malgré leur caractère unique, ces bisons-là restent inconnus.

Ce Polonais-Lituanien, distant et peu loquace dans ses lettres, veille sur le manoir de la liberté près de Paris, mais il n’est pas seul. Il était et reste l'organisateur, l'architecte et le superviseur de l’ensemble. Mais passer du dialogue à la formulation de buts communs ne donnerait pas de réalisations concrètes sans Mieroszewski, le pilier du journalisme polonais indépendant, sans Łobodowski, le fidèle compagnon de la cause ukrainienne, sans Hostowiec-Stempowski le savant, spécialiste des affaires orientales, sans Czapski, l'éternel jeune optimiste et romantique, sans Herling-Grudziński, le rationaliste suivant pourtant la même ligne, et probablement sans ces écrivains, universitaires et journalistes ukrainiens engagés, comme Koszeliwec, Ławrinenko, Łewycki et Szerech. Il s’agit là de questions sérieuses qui comptent déjà dans l’ouverture de nouveaux horizons. Deux objectifs priment sur tous les autres : le premier est de continuer de semer des graines dans la Pologne satellite telle qu’elle est aujourd’hui, d’éveiller, chez la jeune génération qui réfléchit en termes politiques, un intérêt et même un engagement dans les idéaux et les concepts forgés par Kultura ; le second est le rôle que joue Kultura dans cette question fondamentale qu’est de bâtir une plateforme de discussion entre les démocrates russes et ukrainiens. La récente déclaration des Polonais, des Russes, des Tchèques et des Hongrois sur la liberté de l'Ukraine, sur la nécessité de la défendre contre l'impérialisme russe et de ses « nouveaux tsars » n’aurait pas été possible sans l'engagement têtu, allant au fond des choses, de l’équipe de Kultura et de son rédacteur en chef.

 

[Kultura, 1977, n° 7-8]

 

[1] [Mission militaire polonaise à Berlin : organe des forces armées polonaises dans les années 1945-1990 qui était de fait une mission diplomatique ; pendant un temps, elle était la seule à représenter l'État polonais en Allemagne. Créée en 1945 par le Conseil allié de contrôle de l'Allemagne, la mission a entretenu un réseau de représentations et fait office d'autorité pour les autres organes de la République populaire de Pologne opérant en Allemagne à l'époque. Suite à l’installation des d'ambassades polonaises en RDA (1949) et en Allemagne de l'Ouest (1974), elle a représenté les intérêts de la République populaire de Pologne uniquement à Berlin-Ouest. Elle a été supprimée en 1990 ; le colonel Jakub Prawin était son premier chef.]

[2] [Petro Tronko (1915-2011), historien ukrainien et militant ; 1961-1978, vice-premier ministre chargé des affaires humanitaires ; 1978, universitaire et vice-président de l'Académie des sciences de l’Ukraine ; 1967-1988 président de la Société ukrainienne pour la protection des monuments ; initiateur du Musée de l'architecture populaire à Pyrohovo près de Kiev ; 1996-2000, conseiller du président ukrainien pour le patrimoine historique et culturel].

[3] [Valentyn Malantchuk (1928-1984), militant du parti et de l'Ukraine soviétique, rendu responsable du « grand pogrom » ; 1967, vice-ministre de l'éducation ; 1972, secrétaire pour l'idéologie du Comité central du Parti communiste d'Ukraine ; 1979, démis de ses fonctions].

 

[4] [ Bunt Młodych, bimensuel politique et social publié à partir de 1931 sous la direction de J. Giedroyc, après sa transformation de « Dzień Akademicki », prônant la politique du camp de J. Piłsudski, les deux liés à Myśl Mocarstwowa].

[5] [Polityka, périodique créé en 1937, par la transformation de "Bunt Młodych" ; J. Giedroyc en était le rédacteur].

 

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