IWAN KOSZELIWEC
Ivan Kochelivets, Chronique de la résistance ukrainienne, Kultura 1975, n° 1-2
En Occident, nous avons appris l'existence de la résistance ukrainienne avec beaucoup de retard. Lorsque Kultura a publié les premiers ouvrages de Siniavsky et Daniel, nous n'avions toujours aucun signe de l'Ukraine. C'est d’ailleurs compréhensible : Kiev, géographiquement plus proche de l'Occident que Moscou, en est du point de vue politique bien plus éloigné, presque inaccessible. Cette capitale est censée disposer du gouvernement qui possède un ministère des affaires étrangères, mais personne ne sait ce que ce ministère fait, d’autant qu’il n’y a pas à Kiev d'ambassades ni de consulats de pays non communistes ; il n'y a pas non plus de correspondants étrangers qui, pourtant, s’activent énergiquement à transmettre à l'Occident les nouvelles interdites en provenance de Moscou. Un silence assourdissant entoure Kiev, aussi est-il difficile de croire qu'il y couve la moindre étincelle de résistance.
Au milieu des années 1960, des informations sur une effervescence dans les cercles littéraires, sur la parution de tracts contre le régime ont commencé à filtrer, mais un véritable coup de tonnerre a été, pour nous, le livre de Viatcheslav Tchornovil, Le Malheur d’avoir trop d’esprit qui avait franchi le rideau de fer et paru à Paris en 1967. De ce livre et à d'autres documents qui commençaient à nous parvenir de plus en plus souvent, nous avons appris que le combat contre les répressions en Ukraine durait déjà depuis une bonne dizaine d'années. Je vais tenter ici d'en faire une brève chronique.
Nous sommes en 1956 : lors du XXe congrès du Parti communiste de l’URSS, Khrouchtchev déclare la déstalinisation et la lutte contre le « culte de l'individu ». A la première annonce de cette nouvelle (selon des témoins oculaires), tout Kiev est descendu dans la rue. C'était enfin quelque chose de nouveau. Les grands espoirs ont toutefois été rapidement suivis d'une amère déception, si vite que ces journées appartiennent de nos jours à une histoire lointaine.
Dans la seconde moitié des années 1950, on a fondé, à Ivano-Frankivsk, le Parti uni pour la libération de l'Ukraine[1]. Son objectif était la lutte pour l'indépendance face à Moscou. En décembre 1958, une dizaine de personnes ont été arrêtées et, en mars de l'année suivante, lors d'un procès à huis clos, elles ont été condamnées à diverses peines de prison.
Vient ensuite, dans l’ordre chronologique, l'affaire dite « des juristes », puisque tous les accusés travaillaient dans le système judiciaire soviétique. Le chef de ce groupe, Levko Loukianenko[2] (né en 1927), originaire de la région de Tchernikhov, était diplômé de l'Université de Moscou et travaillait en Ukraine depuis 1957. C'est à cette époque que sa conviction de la nécessité de libérer l'Ukraine de la domination russe a mûri et, en 1959, il a fondé, avec quelques personnes partageant ses idées, l'Union ukrainienne des travailleurs et des paysans[3], dont l’objectif principal était d’exiger - par des moyens entièrement légaux, puisés dans les articles y afférant de la Constitution de l'URSS et de la république ukrainienne ainsi que dans les écrits de Lénine - le retrait de l'Ukraine de l'Union soviétique. Tout ce groupe de juristes, malgré la légalité claire de leurs actions, a été arrêté en janvier 1961 et accusé de vouloir « détacher l'Ukraine de la Russie ». Lors d'un procès qui s'est tenu en mai 1961, Loukianenko a été condamné à mort (peine commuée en 15 ans de prison) et tous les autres à des peines de prison.
La logique de la lutte contre un régime despotique demande à ce qu’on énumère divers épisodes de résistance, ce qui revient à faire la liste des répressions qui ont frappé les militants. Dans ma chronique, ce sera hélas aussi le cas.
Presque simultanément au procès des juristes, s’est déroulé à Lviv, en décembre 1961, le procès du Comité national ukrainien[4]. Nous manquons d’informations détaillées sur son activité. Il est possible, indirectement, d’établir que ses objectifs étaient les mêmes : exiger le retrait de l'Ukraine de l'Union soviétique. Dans cette affaire, une vingtaine de personnes se sont retrouvées sur le banc des accusés : deux d'entre eux - Ivan Koval et Bohdan Khrytsyna - ont été condamnés à être fusillés, la sentence a été cette fois exécutée. Tous les autres ont été condamnés à 15, 12 et 10 ans de prison.
Il est évident que ces organisations et ces procès n'étaient pas des phénomènes isolés, ils représentaient une contestation qui se développait dans de larges couches de la société, sans que l'on puisse dire précisément quels étaient les milieux concernés. Ce que nous pouvons affirmer à l’heure actuelle est que, au début des années 1960, le mouvement anti-régime avait une portée particulière dans les cercles littéraires. Son objectif principal était de lutter contre les attaques impérialistes du chauvinisme russe, contre la discrimination nationale, contre la russification à marche forcée de toute la vie culturelle. Ce mouvement avait beaucoup de variantes qui englobaient des formes plus ou moins légales, allant de l’accusation de « déviation bourgeoise-nationaliste » à des actes qualifiés par le pouvoir de « trahison de la patrie » et « d'atteinte au pouvoir soviétique ». A ces actions répondaient diverses sanctions allant de l'interdiction de publier, de l'exclusion de l'union des écrivains jusqu’aux peines d'emprisonnement. Parmi les jeunes poètes qui, en raison de la date de leur première publication, ont été nommés la « génération des années soixante », se distingue avec force Vassil Symonenko, décédé en 1963, et dont les poèmes satiriques, une critique âpre du régime, font toujours partie du canon de la poésie du samizdat.
Un certain nombre de critiques littéraires talentueux sont issus de cette génération dont Ivan Dziouba, Ivan Svitlychny, Yevkhen Sverstiouk. Tous sont devenus par la suite des résistants connus, bien que leur destin ait été différent : alors que les deux derniers, victimes de la terreur, sont aujourd'hui en déportation, Ivan Dziouba a capitulé devant le régime et s'est donc retrouvé hors-jeu. Je vais lui consacrer ici plus de place.
Au cours de la période en question, Dziouba, né en 1931, dans le Donbass, prend la première place dans sa génération. Auteur d'excellents essais critiques et littéraires, ouvertement dirigés contre les dogmes du réalisme socialiste, il était en passe de devenir le principal idéologue de la résistance ukrainienne au milieu des années soixante.
C'est alors que le premier secrétaire du Comité central du parti communiste ukrainien, Petro Chelest, en sa qualité de gouverneur envoyé par Moscou, commet une erreur. Sous la pression croissante du mouvement contre l'oppression nationale, dans le but de cerner plus exactement les racines des protestations, il propose à Dziouba d'élaborer une synthèse des revendications nationales des Ukrainiens. Dziouba accepte cette proposition et, sur la base d'un vaste ensemble documentaire portant sur l'histoire russe, s’appuyant aussi sur les écrits des dirigeants du parti communiste soviétique, dont Lénine, il déduit que l'URSS, dans le domaine national, ne fait que poursuivre la politique de la Russie tsariste, que la phraséologie internationaliste dissimule le chauvinisme du pouvoir russe et que l'oppression nationale et la russification ont pris des formes encore plus brutales qu'avant la révolution.
Le Comité central du parti communiste reproduit le manuscrit de Dziouba en une centaine d'exemplaires et le fait circuler parmi les hauts dirigeants du parti afin de préparer un débat à huis clos. Une situation paradoxale a ainsi été créée : le livre, écrit à l'initiative et à la demande du Parti, a traversé son Comité central jusqu’aux circuits clandestins du samizdat, et il est devenu le principal document de la résistance ukrainienne. Voilà la genèse de l'ouvrage d'Ivan Dziouba intitulé : Internationalisme ou russification ?
Dziouba a adressé son livre à Petr Chelest en personne, et il y a apposé la date de décembre 1965. Il est difficile de dire quel a été son impact (ou plutôt l'impact du travail accompli par l'auteur), mais de fait sa publication a coïncidé avec l'un des moments culminants du mouvement ukrainien de résistance qui, à l'époque, embrassait des cercles de plus en plus larges de l'intelligentsia. Le KGB y a réagi par une attaque répressive vigoureuse, procédant à des arrestations de masses[5] à la fin de 1965 et au début de l'année suivante, après quoi, dans le courant de 1966, des dizaines d'accusés ont été jugés à huis clos.
La liste de tous ceux qui ont été condamnés à cette occasion aurait été longue à faire. Certains ont déjà purgé leur peine et vivent aujourd'hui sous la haute surveillance de la milice, tandis que d'autres ont eu le temps de passer pour une deuxième ou une troisième fois en jugement et purgent de nouvelles peines en prison à Vladimir ou dans le goulag de Mordovie. Je ne citerai ici que les noms les plus connus : Mykhailo Khoryn (né en 1930), pédagogue et auteur de bons ouvrages sur la psychologie, condamné à 6 ans de goulag, régime renforcé ; Mykhailo Osadtchy, instructeur du Comité central du parti pour la région de Lviv (né en 1936), condamné à 2 ans de goulag de régime renforcé, qui, après avoir purgé sa peine, a écrit un livre sur son expérience carcérale intitulé Bielmo (récemment publié en traduction française) et qui, depuis 1972, se trouve de nouveau derrière les barreaux ; Opanas Zalyvakha[6] (né en 1925), peintre connu de la région de Kharkiv, 5 ans de goulag de régime renforcé ; Mykhailo Masioutko[7] (né en 1918), écrivain de Kherson, 6 ans de goulag de régime renforcé ; Anatoly Chevtchouk[8] (né en 1937), employé de l'imprimerie de Jytomyr, 5 ans de goulag de régime renforcé.
C'est ainsi que se présente la liste des peines infligées à ces vingt personnes. L'accusation portée contre chacun d'entre eux est identique « propagande et agitation antisoviétiques ». Les documents relatifs à l’histoire de ces vingt personnes sont le sujet du livre de Vyatcheslav Tchornovil Rozumnemu biada [édité en français sous le titre Le Malheur d’avoir trop d’esprit]. Parmi les autres personnes décrites dans ce livre, il convient de mentionner un personnage devenu presque légendaire (comme si la prison de Vladimir, où il est détenu, n'était pas trop concrète), à savoir Svyatoslav Karavansky (né en 1920), originaire d'Odessa. Il a été arrêté pour la première fois en 1944 pour son appartenance à l'Organisation nationale ukrainienne (OUN) et condamné à 25 ans de prison en 1945.
En 1960, Karavansky a bénéficié d'une amnistie, et il a été libéré après avoir purgé la peine de 16 ans et 5 mois. Tout en travaillant comme linguiste et écrivain, il n'a pas cessé de lutter, de protester contre la discrimination nationale, en adressant des lettres de protestation à toutes les instances gouvernementales, même au consul tchécoslovaque et polonais, aux partis communistes étrangers (y compris Gomulka lui-même), ce qui lui a valu d'être arrêté à l'automne 1965 et condamné à finir de purger sa peine de 25 ans de prison. Il y a tout lieu de craindre que cette peine soit prolongée jusqu'à la fin de la vie du prisonnier. Sans se laisser décourager par cette perspective, malgré les offres alléchantes du KGB, Karavansky n'a pas dévié de sa trajectoire.
Dans le livre de Tchornovil figure pour la première fois le nom de Valentin Moroz (né en 1936), originaire de Volhynie, lui aussi condamné pour « propagande et agitation antisoviétique » à 5 ans de goulag de régime strict. Il allait bientôt devenir une figure emblématique du mouvement de résistance ukrainien.
Pour conclure sur le livre de Tchornovil, il faut dire que depuis sa sortie en samizdat (daté du 20 avril 1967), son auteur est au premier rang des personnes qui, au péril de leur vie, mènent le combat contre la « russification des organes de l'Etat, des écoles, des universités, des institutions culturelles... », « contre le sous-développement économique de la majeure partie des régions ukrainiennes, contre le déplacement forcé des Ukrainiens vers la Sibérie », « contre le changement artificiel de la composition ethnique de l’Ukraine », etc (à partir de l’introduction de Tchornovil).
Tchornovil a été arrêté trois mois après la publication de son livre et condamné à 3 ans dans un goulag à régime strict pour « propagande et agitation antisoviétique », il a purgé une peine d'un an et demi. Après sa libération, il a continué à dénoncer l'illégalité des procès à huis clos et de la répression, ce qui lui a valu d'être à nouveau arrêté en janvier 1972 et condamné à 7 ans de goulag de régime strict, en mars 1973.
Pour continuer notre chronique du milieu des années 1960, revenons à Petr Chelest lequel joue un rôle non négligeable dans notre histoire : en tant que membre du plus haut organe soviétique - le Politburo du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique - il a participé à l'élaboration des projets d’éradication de la culture ukrainienne. Par rapport aux autres membres du politburo, il était dans une situation plus difficile : en tant qu’envoyé de Moscou en Ukraine, il devait exécuter ces projets lui-même, ce qui provoquait l’hostilité de la part de l'ensemble de la population pensante en Ukraine, en particulier de l'intelligentsia. Il était obligé de faire bonne figure et, ne serait-ce que pour la forme, feindre une « sollicitude paternelle » pour la culture ukrainienne.
Et c'est là que Chelest a commis une deuxième erreur : en 1966, au Congrès d'écrivains ukrainiens, il a prononcé un discours dans lequel il a « paternellement » mentionné la nécessité de cultiver la langue ukrainienne. Personne, bien entendu, n'a cru à la sincérité de ces paroles, mais les écrivains ont saisi l'occasion et, depuis la tribune du Congrès, ont unanimement protesté contre les attaques du chauvinisme grand-russe et la discrimination de la culture ukrainienne. Entièrement fidèle au régime, le président de l'Union des écrivains d'Ukraine, Olekh Khontchar a dit, dans son discours, que le statut de l'ukrainien à l'école était pire que celui des langues étrangères. D'autres ont déclaré que les Ukrainiens avaient cessé de gérer leur propre culture (Vitaly Korotytch), qu'ils étaient discriminés en faveur des Russes dans tous les domaines, même pour l'attribution du papier aux maisons d'édition (Viktor Korj[9]). Dans cette atmosphère générale de protestation, même le propagandiste du régime, Leonid Novytchenko a condamné ces écrivains russes qui avaient déjà estimé que des langues telles que l'ukrainien « manquaient de perspectives » et étaient vouées à l'extinction. Novytchenko y faisait référence au célèbre écrivain russe Korneliy Zielinskiy. Et ainsi, un congrès d'écrivains s’est transformé en tribune légale de la résistance[10], une nouveauté dans l’histoire de la littérature soviétique ukrainienne.
Comme en témoignent les arrestations de 1965 et 1966, ce sont Kiev et Lviv qui étaient les centres de la résistance, mais l’opposition s'étendait aussi aux villes de province, ce qui est confirmé par les vagues d’arrestation à Odessa et Kherson, Kharkiv et dans le Donbass. A la fin de 1969, il y a eu une célèbre affaire de Dnipropetrovsk : un groupe de jeunes poètes, universitaires et étudiants a adressé une lettre aux dirigeants du parti et du gouvernement ukrainiens, protestant contre la discrimination nationale qui se manifestait par une persécution systématique des Ukrainiens conscients de leurs différences. Les auteurs ont cité des dizaines d'exemples : arrestations, licenciements, etc.
Nous attirons votre attention - écrivent les auteurs de la lettre – vous, communistes, dirigeants et militants sociaux de notre Etat souverain, la République socialiste soviétique d'Ukraine, l'un des Etats fondateurs de l'ONU, sur les répressions qui se déroulent, depuis plusieurs mois dans la région de Dnipropetrovsk, sur la persécution barbare, insensée d'Ukrainiens honnêtes et dévoués à l'édification du communisme. Cette campagne est plus impitoyable, plus terrible que les exploits des Gardes rouges en Chine, qui sont connus dans le monde entier.
À la fin de la lettre, les auteurs demandent :
Chers camarades, veuillez nous expliquer le pourquoi de ces vociférations sur le « danger nationaliste » que poussent les « amis », éclairés et moins éclairés, de la nation ukrainienne ? Qui leur a donné le droit de piétiner, de leurs sales bottes de russification, la dignité de la nation ukrainienne ?
La lettre cite des dizaines de noms de personnes réprimées pour avoir d’une manière ou d’une autre protesté contre la russification. Parfois, on réprimait (cela illustre l'étendue de l'oppression nationale en Ukraine) un poète qui se mettait à écrire… en ukrainien (V. Sirienko).
L'affaire de la « Lettre de la jeunesse créative de Dnipropetrovsk »[11] (c'est sous ce nom qu'elle est entrée dans l'histoire du mouvement ukrainien) a déclenché de nouvelles répressions : lors d'un procès de janvier 1970, les personnes suivantes ont été condamnées à diverses peines de prison à Dnipropetrovsk, pour avoir écrit et diffusé cette lettre : le poète Ivan Sokoulski[12], l'étudiant Mykola Koultchynsky[13], l'assistant de l'Institut métallurgique Volodymyr Savtchenko[14].
L’année 1970 est une période où, à Moscou, le KGB tremblait d’impuissance et de rage de n'avoir pu empêcher la publication de « Chronique des événements en cours » et la publication ukrainienne analogue Ukrayinskyi Visnyk. Des projets d’attaque massive contre le mouvement clandestin étaient déjà en cours d'élaboration. Et c'est dans ces circonstances que Petro Chelest commet sa troisième erreur : il fait tirer à cent mille exemplaires le livre Ô notre Ukraine soviétique ! (1970). C’est un guide primitif de l'Ukraine, composé par une plume d’un bureaucrate du parti, et lamentable du point de vue littéraire. Au départ, personne n'a prêté attention à sa parution. Mais, juste à ce moment, dans la tête des chefs moscovites, mûrissait l’idée d'interdire les références à l'histoire ukrainienne (c'était mal vu depuis un bon moment), afin de ne pas exciter le « nationalisme bourgeois ». Et voilà que Chelest lui-même a donné le mauvais exemple : en sa qualité de « maître de maison » en Ukraine, pris du désir de se vanter de sa richesse, il a sorti la tête du rang en louant la renommée de Zaporojie.
On ne lui a pas pardonné sa troisième « erreur », bien qu'il ait continué encore quelque temps sa gouvernance en Ukraine. Quand, au début de 1973, la décision a été finalement prise de renvoyer Chelest d'Ukraine, la presse occidentale a battu des records de naïveté. Alors qu'elle avait affiché ses portraits avec l’inscription « Peter Chelest le dur », elle était désormais encline à l'inclure dans les rangs des nationalistes ukrainiens. On peut sans doute estimer que, pour le Politburo moscovite, il manquait de dureté, mais on ne peut pas le soupçonner d'un quelconque sentiment d’indulgence pour l’idée de la nation ukrainienne. C'est le sort commun de tous les gouverneurs ukrainiens : sous la pression de l'élément national, ils sont contraints de montrer ne serait-ce qu'un peu d'intérêt pour le pays qui leur a été confié, à Moscou, en revanche, cela est perçu comme une faiblesse. Telle a été la fin non seulement de Chelest, mais aussi, en 1936, de son prédécesseur Pavel Postychev[15]. Mais revenons à la chronique de la résistance.
Alors que Moscou étouffait l'affaire de Chelest, une vague de terreur déferlait sur l'Ukraine. A ses débuts se trouve la mort tragique de Dmytr Zerov[16], scientifique botaniste, membre titulaire de l’Académie des sciences de Kiev. Son nom est bien connu en Ukraine. L'un de ses frères, Mykola Zerov, poète et homme de lettres, est mort en déportation dans des circonstances non élucidées ; l'autre, également poète, Mykhailo Zerov (Orest) est mort en exil, en 1963. Dmytro Zerov n'avait subi aucune persécution jusqu'à ses derniers jours (en tout cas, rient de tel ne m’est connu) et il a dirigé un institut de l’Académie des sciences, dont il était membre du présidium. En décembre 1973, lors d'une réunion du Parti à l'Académie, il a prononcé un discours virulent contre la discrimination des Ukrainiens et il est tombé mort, sans quitter la tribune. Les funérailles de Dmytr Zerov se sont transformées en une immense manifestation politique.
Durant la première quinzaine de janvier 1972, des arrestations massives d'activistes de la résistance ont eu lieu dans toute l'Ukraine. A Kiev, l’on arrête :
- Ivan Svitlytchny, un homme de lettres mentionné ci-haut, accusé d'avoir fait passer de la littérature « samizdat » à l'étranger, trouvée à son domicile lors d'une perquisition. En mars 1973, il est condamné à 7 ans de goulag à régime strict et à 5 ans de déplacement.
- Vasily Stous (32 ans), poète et critique dont le recueil de poèmes a été publié à l'étranger en 1965. Licencié après cette publication de l'Institut de littérature de l'Académie des sciences, il a exercé toutes sortes de métiers. Accusé d'avoir écrit des textes de protestation et d'avoir transmis de la littérature samizdat à l'étranger, il a été condamné à 5 ans de goulag de régime strict et à 3 ans de déplacement, au cours du procès qui s'est déroulé du 31 août au 7 septembre 1972.
- Yevhen Sverstiouk, célèbre critique littéraire, a participé aux protestations contre la discrimination de la culture ukrainienne, auteur d’essais qui circulaient sous forme de samizdat, notamment Palabres au milieu des échafaudages et Kotliarevsky en rit, condamné en avril 1973 à 7 ans de régime strict au goulag et à 5 ans de déplacement.
- Leonid Plouch, mathématicien, membre d'un groupe des droits de l'homme en URSS, a signé, avec d'autres membres du groupe, des protestations contre les arrestations et les violations de l'Etat de droit. Déclaré « malade mental » par des « experts » et condamné à un séjour d'une durée indéterminée dans la clinique psychiatrique spéciale de Dniepropetrovsk.
- Mykola Plakhotniouk, médecin, 36 ans, accusé d'avoir distribué le samizdat Ukrayinskyi Visnyk et d'autres publications interdites. Déclaré « malade mental » par des « experts » médicaux et, sur ordre du tribunal, condamné à un traitement obligatoire dans une clinique psychiatrique, pour être ensuite ramené devant le tribunal.
On devrait citer d'autres noms, mais la taille de cet article ne permet pas d'établir un registre complet des personnes arrêtées et condamnées pour diverses actions de protestation dans la seule ville de Kiev.
Au même moment, en janvier 1972, à Lviv, les personnes suivantes ont été arrêtées :
- Vyatcheslav Chornovil, l'auteur déjà cité de l’ouvrage Le Malheur d’avoir trop d’esprit ; les époux Ikhor Kalynets et Iryna Stasiv, tous deux poètes, condamnés à de longues peines de prisons.
- Mykhailo Osadtchy, ancien employé des comités de parti de district et du Komsomol à Lviv, auteur du livre Bielmo, publié en samizdat.
- Ivan Khel[17], serrurier de Lviv ; arrêté en 1965 et condamné pour « propagande et agitation antisoviétique » à 3 ans de goulag, lors d'un procès en mars 1966. Après avoir purgé sa peine, il retourne à Lviv, mais au procès de 1972, accusé du même crime, il est condamné à 5 ans de goulag de régime spécial, 5 ans de régime aggravé et 5 ans de déplacement : un total de 15 ans.
C’est un aperçu de Lviv qui est, bien entendu, incomplet.
En février 1972, Youri Choukhevytch est arrêté à Naltchik (Caucase du Nord). Né en 1933, encore enfant, il a été emprisonné parce que son père Roman[18] était un général de l'Armée insurrectionnelle d’Ukraine. En prison et pendant son court séjour en liberté, il résiste aux exigences du KGB qui lui demande de dénoncer le nationalisme ukrainien et les activités de son père ; il rédige des mémoires qui lui sont confisqués lors de son arrestation. Sa nouvelle condamnation lui vaut 5 ans de prison, 5 ans de goulag de régime strict et 5 ans de déplacement, soit un total de 15 ans.
Puis, toujours à Naltchik, Nina Strokata, la femme de Svyatoslav Karavansky (mentionnée plus haut) est arrêtée pour avoir refusé de quitter son mari, exigé sa libération et protesté contre l'arbitraire de l'impérialisme russe, en particulier à Odessa.
Le procès de N. Strokata et d'Oleksiy Riznikiv[19], jugé au même moment, a eu lieu à Odessa, du 4 au 8 mai 1972. Pour rendre compte de l'atmosphère de ce procès et d'autres procès similaires, il suffit de citer un bref compte-rendu tiré de « Chronique des événements en cours » (n° 28, décembre 1972).
Les éléments suivants du procès contre Nina Strokata, Oleksy Sergueyovitch Riznikiv et Oleksa Prytyka[20], qui s'est déroulé du 4 au 8 mai 1972 à Odessa, ont été portés à la connaissance de la « Chronique ».
Puisque le principal motif de l'accusation contre Strokata était son « sentiment nationaliste bourgeois », l’accusée ayant « succombé à l'influence » de son mari, Svyatoslav Karavansky, « espion et récidiviste » (expressions du procureur), le procès s'est tenu de manière démonstrative en ukrainien. Toutes les questions posées par Strokata et Riznikiv aux témoins sur la situation des Ukrainiens et d'autres nationalités en Union soviétique ont été rejetées par le tribunal comme étant « sans rapport avec l'affaire ». A titre d'exemple, la question de Strokata était : « Est-ce que le témoin se souvient que des écoles où l'on enseignait l'ukrainien, l'arménien et la langue juive à Odessa, ont existé jusqu'en 1941 ? Comme je suis d'avis que des écoles dispensant un enseignement dans la langue maternelle devraient exister dans toute l'Union soviétique, ne pourrait-on pas me considérer, pour cette raison, comme une nationaliste juive ? A la question posée par Strokata au témoin Parkhomienko (rédacteur du journal du district de Balta Trybuna Narodowa) de savoir s’il utilisait l'expression « patriotisme ukrainien », ce dernier a répondu que « ce patriotisme n'existe pas, il n'existe que le patriotisme soviétique ». Le même témoin, ainsi que son adjoint Tsynga, ont fait un témoignage « à charge » : Riznikiv, après avoir entendu l'Internationale lors d'un concert amateur, a déclaré que la chanson « sonnait bien en ukrainien ».
Les amis et les relations des accusés n'ont pas été autorisés à pénétrer dans le bâtiment du tribunal, deux femmes les ont taxés de « traîtres » et de « vendus à Bandera » (« et qu’ils veulent l'indépendance, ceux-là ») et leur ont lancé des insultes. Elles ont assisté ensuite à l’audience.
En février 1972, Danylo Choumouk est arrêté. Le destin de ce prisonnier est particulièrement intéressant. Né en 1914 en Volhynie, Choumouk devient un membre actif du Parti communiste d'Ukraine occidentale. Arrêté à l'âge de 19 ans par les autorités polonaises, il est condamné à huit ans de prison. Libéré en 1939, Choumouk est confronté face à face au rêve de sa vie : le communisme soviétique. Cette confrontation se termine mal. Recruté dans l'armée soviétique en 1941, Choumouk ne veut pas se battre pour Staline, se cache en Ukraine et rejoint l'Armée insurrectionnelle d’Ukraine. Arrêté en 1945 par la police soviétique et condamné à mort, peine commuée en 20 ans de goulag, il purge sa peine dans le Grand Nord. En 1953, Choumouk est parmi les organisateurs du soulèvement des prisonniers politiques à Norilsk, risquant une nouvelle condamnation à mort. En 1956, il est libéré à la faveur d'une amnistie. Deux ans plus tard (en 1958), il est de nouveau arrêté et condamné à 10 ans de prison. Lors d'une perquisition, on trouve en sa possession le premier volume de ses mémoires. Après avoir purgé sa peine, il s'installe dans la région de Kiev, où il travaille comme concierge. Pendant cette courte période de liberté, il rédige le deuxième volume de ses mémoires, qui parvient en Occident et qui est publié sous le titre Za skchidnim obriyem (éditions Smoloskyp[21], Paris - Baltimore 1974). Je rapporte ces détails parce que Choumpuk, dans ses deux incarnations - communiste et plus tard patriote - y aborde les questions des relations polono-ukrainiennes avec franchise, sans parti pris.
Mais avant la publication de son livre, Choumouk a été condamné pour « activité antisoviétique », à l'issue d'un procès qui s'est tenu du 5 au 7 juillet 1972, à 10 ans de goulag de régime spécial, puis à 5 ans de déplacement. Il a purgé sa peine dans les camps de Mordovie. Le 10 octobre 1972, Choumouk s'adresse au Soviet suprême de l'URSS, en déclarant : « Je demande au Présidium du Soviet suprême de l'URSS de me retirer la citoyenneté soviétique. Il me sera plus facile de mourir [...] dans cette dure captivité en dehors d'Ukraine, sans être citoyen de l'URSS ».
Pour montrer l’ambiance de ces années, mentionnons un incident, celui-ci plutôt tragicomique. Boris Kovhhar (47 ans), membre du parti, a travaillé jusqu'à son arrestation comme chef du département des collections du Musée d'architecture de Kiev, et en même temps comme agent du KGB. Il a été chargé de suivre O. Khontchar, O. Serkhiyenko, L. Yachtchenko[22] (chef administratif de la chorale dissoute pour cause de nationalisme « Khomin »[23]) ainsi que le poète M. Kholodny. Tous étaient des résistants actifs. Mais Kovkhar n'a pas pu supporter toute cette charge et il a fait circuler, sous forme de samizdat, une lettre ouverte adressée à l'enquêteur du KGB dont il dépendait. La lettre contenait des détails sur la psychologie et la technologie de la collaboration avec le KGB. Arrêté et déclaré malade mental par le tribunal en septembre 1972, Kovkhar a été condamné à un traitement dans une clinique psychiatrique afin de pouvoir, une fois « guéri », être jugé.
Notre chronique arrive presque aux temps où je l’écris, mais si je devais l'arrêter, elle serait résolument incomplète. On doit y ajouter des remarques d’ordre général sur l'élargissement de la résistance.
Je dis « d’ordre général » parce qu’il est inutile d’ajouter qu’il est impossible de travailler avec des données statistiques concrètes, ni pourquoi cela n’est pas possible. Certaines formes de lutte organisée peuvent être toutefois définies de manière très précise. Il s'agit des affaires où il est possible d'identifier les personnes qui, de manière individuelle ou collective et sans recourir à l’anonymat, se sont adressées aux dignitaires du parti et du gouvernement en leur communiquant leur nom et même leur adresse, ainsi que les personnes qui ont diffusé leurs propres œuvres de samizdat ou qui ont été prises par les autorités en train de distribuer celles d'autres auteurs. L’un des observateurs scrupuleux de ces questions estime le nombre de ces personnes à environ 600.
Il est difficile de parler de statistiques dans les cas où, à l'insu des autorités, des réunions parfaitement légales se sont transformées en rassemblements politiques hostiles, comme le Congrès d'écrivains déjà mentionné ou la conférence sur la linguistique de 1963 de Kiev, dont les participants ont non seulement protesté contre la russification, mais aussi demandé officiellement au gouvernement de reprendre les cours en ukrainien dans les écoles primaires, secondaires, professionnelles et les universités. Dans de tels cas, on peut parler de centaines de participants.
Les statistiques sont totalement impuissantes lorsqu'il s'agit de discours spontanés lors de rassemblements de masse, à diverses occasions. J'ai déjà parlé des funérailles de D. Zerov, qui se sont transformées en manifestation politique ; la même chose s'est produite en janvier 1965 lors des funérailles du célèbre poète Volodymyr Sosioura, et plus fort encore lors des funérailles de la peintre Alla Khorska[24], une résistante qui a été assassinée, dans des circonstances mystérieuses, le 28 novembre 1970.
Ce même ton politique est pris lors de soirées littéraires auxquelles participent des milliers de personnes ; lors de ces soirées organisées sans autorisation, on fait la lecture des œuvres interdites, les participants sont dispersés par la milice. Les rassemblements annuels devant le monument de Taras Chevtchenko à Kiev, à l'occasion de la date anniversaire du transfert de sa dépouille de Saint-Pétersbourg en Ukraine, au début du mois de mai, sont devenus tradition. Il existe d'autres formes de résistance de masse impliquant des milliers de personnes.
Ce qui est nouveau dans cette résistance, c'est l'émergence d'un nouveau type psychologique d’individu qui a surmonté la peur de l'époque stalinienne, et s'oppose à un régime despotique. En Ukraine, ce type de personne est appelé « nationaliste ». C'est de fait le cas sauf que, au point de départ, se trouve la défense de la vérité et la dignité humaine, ce qui, dans les conditions ukrainiennes, signifie lutter contre l'anéantissement du peuple planifié par l'impérialisme russe, et non seulement planifié, mais mis en œuvre sans scrupules.
L'accord de Pereïaslav (1654) entre Bohdan Khmelnytsky et le tsar moscovite est traité par l'historiographie officielle comme une « unification » qui a fait le bonheur du peuple ukrainien. Une absurdité évidente. Au milieu des années soixante, l'historien Mykhailo Braytchevsky[25] écrit un article polémique dans lequel il affirme qu’il n’est pas question, là, de « l’unification » mais de « l'annexion », que l'Ukraine s'est retrouvée dans un état d’asservissement, et qu’elle a souffert et continue de souffrir d'oppression nationale. L'ouvrage n'a pas été imprimé, bien entendu, et a été diffusé en samizdat. Son auteur s'est exprimé au nom de la vérité historique et a été qualifié de « nationaliste bourgeois ». Il ne subit pas encore de répressions judiciaires, mais on le renvoie de l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences. C'est ce qu'on appelle dans la littérature samizdat la « persécution extrajudiciaire ».
Depuis une dizaine d'années, les traducteurs sont persécutés parce que l'ukrainien est plus riche dans leurs traductions que dans la littérature écrite dans l’original. Plus riche, c'est vrai, parce que pour traduire un roman sur les kolkhozes, le vocabulaire du journal officiel Radyanska Ukraina suffit, mais comment traduire un roman occidental, même populaire, dans la langue d'un contremaître de kolkhoze ? Le traducteur doit nécessairement utiliser des sources différentes, faire revivre des mots oubliés dans le langage de la propagande, en créer de nouveaux. Bref, il enrichit la langue, la rend plus souple et se dresse ainsi indirectement contre la russification. Pour cette raison, presque tous les traducteurs sont accusés d'archaïser, de créer des néologismes, etc.
Il est logique que lorsqu'on frappe, ce sont les plus importants qui en paient les frais. Ainsi, dans la campagne contre les traducteurs, les premières victimes ont été les chefs de file de l'école de traduction de l'après-guerre - Khrykhoriy Kotchour[26] et Mykola Loukach[27]. Le nom de Loukach, linguiste et expert de nombreuses langues européennes, a soudainement disparu de la liste des rédacteurs de Vsesvit, au milieu de l'année 1973. Bientôt, nous en avons connu la raison : lorsque Ivan Dziouba a été arrêté en 1972, et que l'enquête sur son cas a traîné jusqu'en 1973, Loukach - pourvu d'une bonne dose humour noir - s'est adressé à la Cour suprême avec la requête suivante : comme Dziouba a une maladie pulmonaire, et comme il a un enfant en bas âge, permettez-moi de purger cette peine à sa place. Ce sera d'autant plus judicieux que je partage entièrement son point de vue.
En 1974, Loukach et Kotchour (ce dernier pour avoir eu des contacts avec des « nationalistes » étrangers) ont été exclus de l'Union des écrivains. Il s'agit là aussi d'une « persécution extrajudiciaire ». C'est plus léger en apparence que de rester derrière les barreaux. Mais si vous êtes un intellectuel et qu'on ne vous permet pas de gagner votre pain dans votre profession, vous êtes en fait hors la loi, et comment supporter cette persécution « plus légère », quand aucun kolkhoze n'ose vous embaucher comme concierge, parce que vous êtes « un politique » ; l’un des poètes a eu la chance (un cas concret) d’avoir trouvé un emploi temporaire dans une porcherie de kolkhoz.
Mais, dans le mur de la peur, une brèche s’est ouverte. Nous ne savons pas toujours avec exactitude pour quels délits précis des personnes sont persécutées judiciairement ou en dehors des tribunaux, mais le flot de nouvelles n’arrête pas de couler.
A Kiev, le directeur de l'Institut d'archéologie de l'Académie des sciences, Fedir Chevtchenko[28], a été licencié pour « nationalisme ». Dans le même institut, la chercheuse Olena Apanovytch[29] a été licenciée aussi. Les universitaires Vasyl Skrypka[30] et Tamara Khirnyk[31] de l'Institut de Folklore et d'Ethnographie ont été licenciés. Le record de licenciements a été battu par un établissement scientifique aussi éloigné de la politique que l'Institut de botanique de l'Académie des sciences, où pas moins de 22 employés ont été licenciés après la mort de son directeur Dmytr Zerov.
A Lviv, à l'Institut des sciences sociales de l'Académie des sciences, 14 employés « indésirables » se sont vu proposer de partir « à leur propre demande » (sinon ils auraient été simplement licenciés). Parmi eux figurent un éminent spécialiste de la littérature et du folklore, Khryhoriy Noudkha[32] et l'académicien Roman Kyrtchiv[33].
A l'institut pédagogique de Kirovohrad, le linguiste Vasyl Khorbatchouk[34] a été licencié. A Tcherkassy, Vasyl Zakhartchenko[35] a été exclu de l'Union des écrivains « pour comportement antisocial, incompatible avec l'appartenance à une organisation d'écrivains ». Ou encore, fait loin d'être exceptionnel, un écolier de 16 ans de Kiev a été sans cesse traîné aux interrogatoires du KGB parce qu'il avait assisté à des réunions où l'on lisait des poèmes antisoviétiques et participé à des cérémonies interdites devant le monument de Chevtchenko.
On pourrait poursuivre cette liste. La machine du KGB travaille sans répit.
Il ne faut pas et on ne doit pas passer sous silence les difficultés et les échecs de la résistance ukrainienne qui se produisent, et ne cesseront de se produire dans ces circonstances. En voici l'une des difficultés principales : on pourrait logiquement s'attendre à une collaboration amicale entre les mouvements de résistance les plus puissants de l'Union soviétique - russe et ukrainien ; or, c’est cette collaboration qui fait précisément défaut. Il n’existe qu’une distance froide.
Au risque d'être pris pour la partie intéressée, je tiens à affirmer avec force et responsabilité que ce n'est pas la faute des Ukrainiens. Le fait est (que l'éventuel opposant à cette constatation puisse me convaincre par des faits) que tous les activistes de la résistance russe – quand déjà ils parlent des mouvements nationaux – s’expriment à ce sujet de manière négative ou ils omettent poliment la question. Aucun d'entre eux - et parmi eux Andreï Sakharov, respecté de tous - n'a exprimé son opinion sur le problème des nationalités en Union soviétique. Nous attendons peut-être en vain de telles déclarations de la part de ceux qui se trouvent maintenant à l'Ouest, et qui ont les mains liées.
Dans la publication samizdat de Ukrayinskyj Visnyk, on a plus d'une fois répété que les Russes prétendent à l'hégémonie sur les autres nations. En particulier, quand le « Programme des démocrates de Russie, d'Ukraine et des Etats baltes » a été publié dans le samizdat russe, Ukrayinskyj Visnyk s'en est catégoriquement dissocié par la déclaration suivante :
L'Ukrayinskyj Visnyk déclare en toute responsabilité que les cercles démocratiques ukrainiens n'ont pas participé à l'élaboration et à l'adoption de ce document, qui prétend au rang de programme. Le mot « Ukraine » a été placé dans le titre du document soit à des fins conjoncturelles, soit cela prouve la participation des cercles russes ou russifiés de l'Ukraine à la rédaction de ce document.
Lorsque je parle de défaites, je ne fais évidemment pas référence à tous ceux qui osent participer à la résistance et qui sont, sinon derrière les barreaux, en tout cas soumis à une « persécution extrajudiciaire » illégale. Ce sont des faits pénibles et des tragédies personnelles pour ceux qui sont condamnés à la prison, parfois à vie. Mais c'est aussi un triomphe lorsqu'une personne, surmontant sa peur, entreprend de lutter contre la terreur.
La défaite, c'est la capitulation face à la terreur. Il y en a eu aussi durant une vingtaine d’années qui se sont écoulées depuis la naissance du mouvement de résistance ukrainien. Heureusement, ces faits ont été relativement rares. Mais le chroniqueur est obligé de les mentionner aussi, du moins ceux qui ont eu le plus de retentissement. C'est là l’ultime étape de mon récit.
En mars 1972, après un court séjour en détention, Zinovia Franko (petite-fille d'Ivan Franko), qui s'était jusqu'alors distinguée par sa détermination et sa formidable activité en transmettant des documents samizdat à l'étranger et en protestant contre les agissements du KGB, s'est « repentie ». En juillet de la même année, l'un des meilleurs poètes de la résistance, Mykola Kholodny, connu pour ses œuvres satiriques contre le régime, lui emboîte le pas.
L'échec le plus retentissant est peut-être celui d'Ivan Dziouba. Dès la publication de son livre Internationalisme ou russification ? en Occident, simultanément en plusieurs langues, tous les moyens de pression, d'intimidation et de chantage ont été utilisés contre lui. L'objectif était de le contraindre à corriger ses propos. En janvier 1970, sous la menace d'une expulsion de l'Union des Ecrivains - qui dans son cas aurait été le prélude à une arrestation - Dziouba a publié dans la presse une déclaration clarifiant sa position. Certes, Dziuba n’a renoncé à rien de ses activités antérieures, il s’est contenté de souligner son attachement au marxisme et d'assurer que ses opinions n'avaient rien à voir avec « l'idéologie du nationalisme bourgeois ukrainien ». Cette déclaration a provoqué un débat animé dans les publications samizdat. Valentyn Moroz y a été le principal opposant de Dziouba.
J'ai déjà mentionné ce dernier nom à propos des arrestations et des procès de 1965/1966. Auparavant chargé de cours aux instituts pédagogiques de Loutsk et d'Ivano-Frankivsk, le jeune historien Moroz (né en 1936) avait été condamné à 5 ans de goulags de régime strict pour « agitation et propagande antisoviétique », et il a été libéré quelques mois avant la déclaration de Dziouba, le 1er septembre 1969. Privé du droit de travailler, il s’est consacré à l'enregistrement des récits de folklore dans la région de Khalitch et, à la même époque, son essai Reportage sur la « Beria Réserve » circule dans le samizdat. Pour qualifier brièvement son texte, c’est un écrit philosophique sur l'essence même du Goulag, et il a rendu le nom de son auteur très populaire dans les milieux ukrainiens. A la déclaration de repentance de Dziouba, Moroz a répondu par un essai intitulé Au milieu des neiges où il annonce que, après être monté au premier rang de la résistance, Dziouba n’a pas le droit à de telles déclarations qui donnent le mauvais exemple aux autres. De plus, Dziouba a tort de penser que sa déclaration n’est pas une capitulation. Le fait même de se dresser contre le « nationalisme bourgeois » est une concession au régime lequel, d’ailleurs, se saisira de cette occasion et exigera d'autres concessions.
Moroz a eu raison. Dziouba est arrêté en avril 1972 et « préparé » à son procès pendant une année entière. N'ayant rien obtenu, il est condamné à 5 ans de prison en mars 1973. Mais on continue à le maintenir en prison à Kiev, dans l'espoir de le faire capituler, et le but est finalement atteint : en novembre 1973, on lui arrache une déclaration dans laquelle Dziouba renie tout ce qu'il a dit avant, et il entreprend même de soumettre son propre livre Internationalisme ou russification ? à la critique, concluant que l'ancien Dziouba « n'existe plus et n'existera jamais ».
Encore après la première déclaration de Dziouba, en 1970 – en anticipant ce qui allait se passer - Moroz écrit dans son essai Au milieu des neiges la parole suivante :
L'idée seule ne suffit pas. L'idée est nue et sèche - il faut des incarnations vivantes. La vérité est connue – il faut la foi. Le bien piètre destin ukrainien a arrêté son choix sur Ivan Dziouba. Et ce piètre sort a chargé son dos du fardeau d'un symbole. Il n'est à présent pas digne de le jeter à terre...
Aucun des intervenants de ce débat n’a probablement réalisé à l'époque que (pour employer le même terme) le bien piètre destin de l'Ukraine allait épargner à ce symbole de tomber à terre, l'ayant déjà placé sur les épaules de Moroz. Celui-ci, dans ce même essai, a formulé le concept principal qui pourrait fournir à l’Ukraine l’unique soutien dans sa lutte contre un ennemi aussi dangereux que la Moscou impérialiste : l’idée seule ne suffit pas, c’est la foi qui désormais est nécessaire. La foi de celles qui, en dépit de tous les arguments du soi-disant bon sens, est inébranlable (oderjymist). En ukrainien, cette notion inclut ce que notre poétesse Lesia Ukrainka exprime lorsqu'elle dit : « s’y attendre sans espérer ». C’est à sa poésie que Moroz l’a emprunté. Il en donne une explication supplémentaire :
Les inébranlables ne trouvent pas toujours la voie qui mène vers l'avenir - ils s'égarent parfois sur les bas-côtés. Mais avec la ténacité de « la plante sage », ils persistent. Toutes les graines que l’on a semées en période de gel ne lèvent pas. La plupart périssent. Mais il n'existe pas d'autre issue. Pour une nation qui a vécu des siècles durant dans l’ère glaciaire, enchaînée par l’éternel hiver, il n’existe qu’une seule issue : "Je sèmerai des fleurs dans la glace : [citations de Lesia Ukrainka]. L'Ukraine elle-même est une fleur qui a poussé dans le gel. L'Ukraine est un perce-neige. La vivacité de l'Ukraine est un illogisme, un irréalisme, un paradoxe qui se moque de la logique des « réalistes », comme une fleur de montagne qui éclot sur un plateau rocheux. L'Ukraine est en vie grâce à une logique différente : à l’inébranlable.
*
Mais c'est grâce à ces inébranlables, qui sont allés à la mort, emprisonnés trop longuement (aux Ukrainiens, des mesures différentes s’appliquent, alors que certains Russes sont libérés et partent même à l'étranger, les Ukrainiens jamais[36]; on les garde derrière les barreaux jusqu'à ce qu'ils meurent), que le mouvement de résistance ukrainien et son intensité se sont fait connaître. La taille de l'article ne me permet pas de citer tous les noms, aussi, au risque d'être injuste envers les autres martyrs de la cause, je ne mentionne que le nom de Valentin Moroz, devenu un symbole. Moroz, dans un sketch intitulé A la place de ma dernière parole (devant le tribunal), a dit :
Vous avez introduit, dans la présente phase poststalinienne du renouveau ukrainien, ce sans quoi elle serait restée immature et incomplète : l'élément du sacrifice. La foi s'épanouit lorsqu'il y a des martyrs. Vous nous les avez donnés.
Cela dit, il est parti en prison, devenant lui-même un martyr, sans laisser à ses persécuteurs aucun espoir qu’il capitule. « Rester derrière les barreaux, déclare Moroz dans le même sketch, n'est facile pour personne. Mais ne pas avoir de respect de soi est encore pire. C'est pourquoi nous nous battrons pour le garder. »
Son combat dans l’enceinte de la prison a commencé par des protestations contre les conditions de détention des prisonniers et, en juillet 1974, Moroz a entamé une grève de la faim qu'il n'a pas interrompue à ce jour. Des personnalités du monde de la culture, des écrivains du monde entier et des membres du Congrès américain demandent au gouvernement soviétique d'alléger le sort d'un prisonnier aux portes de la mort. En vain ! Mais le mouvement ukrainien ne faiblit pas.
Ayant endossé le rôle de chroniqueur, je ne veux pas me lancer dans des prédictions. Je m'en tiendrai aux faits. Le dernier, sur lequel je conclurai, est d'ailleurs assez révélateur de l'avenir. Au cours des deux dernières années, plusieurs coups douloureux ont été portés au mouvement de résistance ukrainien par le KGB, au service duquel se trouvent toutes les institutions de l'Etat, y compris l'Union des écrivains. Entre autres, la publication samizdat de Ukrayinskyj Visnyk a cessé ses activités avec le numéro 6, daté de 1972. Puis, malgré la terreur, au début de 1974, un double numéro 7-8 est paru. Le nouveau Visnyk définit clairement sa ligne politique. Son prédécesseur s'en tenait à des positions légitimistes, en soulignant « qu'il ne s'agit en aucun cas d'une publication antisoviétique et anticommuniste, et qu'en ce qui concerne l'idéologie, elle est parfaitement légale et conforme à la constitution. » Dans la nouvelle édition de Visnyk, le respect de la constitution n'est plus mentionné. Ses rédacteurs considèrent que le pouvoir en Ukraine est celui d'une occupation et rejettent la politique envers les nationalités de Lénine et de Brejnev, exigeant l'indépendance totale de l'Ukraine.
Cette définition plus claire a été bien entendu provoquée par des changements dans la résistance ukrainienne, et il faut supposer que cela influencera, à son tour, l'évolution future du mouvement.
D’après la traduction de l'ukrainien de M. Broński
[Sauf indication, les notes proviennent de l’anthologie : Zamiłowanie do spraw beznadziejnych. Ukraina w „Kulturze” 1947-2000 [La passion pour les causes désespérées. L’Ukraine dans Kultura] sous la rédaction de Bogumiła Berdychowska, éd. Institut Littéraire et Institut du Livre (Pologne), 2016.]
[1] Parti uni pour la libération de l'Ukraine (OPWU) : une organisation clandestine créée en 1953 ; parmi les fondateurs : Y. Tkatchouk, B. Tymkiv, I. Stroutynsky, I. Konevitch ; en 1958, les fondateurs ont été arrêtés et, l'année suivante, condamnés à 10 ans de goulag.
[2] Levko Loukianenko : homme politique ukrainien, juriste, dissident. En 1959, cofondateur (avec entre autres Stepan Viroun et Ivan Kandyba) de l'illégale Union des travailleurs et des paysans ukrainiens. En 1961, il est arrêté et condamné à mort (peine commuée en 15 ans d'emprisonnement) ; en 1977, il est arrêté à nouveau. Il est cofondateur du Groupe ukrainien d'Helsinki et de l'Union ukrainienne d'Helsinki. Entre 1990-1992, 1994-1998 et 2002-2006 député au Conseil suprême de la république de l'Ukraine ; entre 1992-1993, il est ambassadeur d'Ukraine au Canada.
[3] Union ukrainienne des travailleurs et des paysans : organisation illégale fondée en 1959 à l'initiative de Levko Loukianenko, dont l'objectif était de lutter pour l'indépendance de l'Ukraine par des méthodes pacifiques (sortie de l'URSS par un référendum national). Ses membres : I. Kandyba, S. Viroun, V. Loutkiv, I. Kipych, O. Libovytch, J. Borovnytsky. En 1961, ils sont tous arrêtés et condamnés ; outre Loukianenko, Kandyba aussi à la peine de mort (commuée en 15 ans de prison), les autres accusés sont condamnés à des peines allant de 7 à 11 ans de prison.
[4] Comité national ukrainien (UNK) : organisation clandestine créée en 1956, à Lviv, à l'initiative d'Ivan Koval et de Bohdan Khrytsyna qui a compté au moins 57 membres. Son objectif était d'obtenir la pleine indépendance de l'Ukraine dans ses frontières ethniques. L’organisation prévoyait le déclenchement d’un soulèvement armé contre le régime soviétique. Entre 1959 et 1962, 20 membres de l'UNK ont été arrêtés ; Koval et Khrytsyna ont été condamnés à mort, la sentence a été exécutée ; les autres membres condamnés à de longues peines de prison.
[5] En 1965, des intellectuels ukrainiens ont été arrêtés dans plusieurs villes, au total, 25 personnes - des activistes du mouvement des années 1960 ; plusieurs centaines de personnes ont été interrogées ; les personnes suivantes ont été condamnées à plusieurs mois ou années de prison : Ivan Svitlychny, P. Morkhoun, Oleksandr Martynenko, Ivan Rousyn, Yevkheniya Kouznetsova, Ivan Khel, Mykhailo Khryn, Mykhailo Khorin, Bohdan Khorin, Mykhailo Osadtchy, Mykhailo Kosiv, S. Batouryn, Khanna Sadovska, Myroslava Zvarytchevska, Yaroslav Menkouch, Mykhailo Masioutko, Mefodiy Tchoubaty, Ivan Khereta, Valentyn Moroz, Dmytro Ivachtchenko, Opanas Zalivakha, Mykhailo Ozerny, Volodymyr Ivanychyn, Anatoly Chevtchouk, Svyatoslav Karavansky.
[6] Opanas Zalivacha (1925-2007) : peintre ukrainien, participant du mouvement des années 1960 ; 1965-1970 dans les camps ; 1987 l'un des organisateurs de l'Association ukrainienne de l'intelligentsia créative.
[7] Mykhailo Masioutko (1918-2001) : écrivain ukrainien, participant du mouvement ukrainien de libération nationale ; arrêté en 1937 et condamné à 5 ans de prison ; libéré au début de 1939 ; 1942 dans l'Armée rouge ; arrêté à nouveau en 1965 et condamné à 3 ans de prison et 3 ans de goulag.
[8] Anatoly Chevtchouk (1937) : écrivain ukrainien, journaliste, participant du mouvement des années 1960 ; emprisonné de 1966 à 1971.
[9] Viktor Korj (1912-1993) : écrivain ukrainien soviétique.
[10] Note de l'auteur de l’article : « Pour un exposé plus détaillé de tout ce qui a été dit jusqu'ici, voir mon livre Ukraina 1956-1968, Institut Littéraire, Paris 1969. »
[11] Il s'agit d'une lettre de défense d'Oleksiy Khontchar, qui a été impitoyablement attaqué après la publication de son roman Sobor (le vice-premier ministre de l'époque, Oleksiy Vatschenko, a reconnu sa personne dans le principal héros négatif). C’est Ivan Sokoulski qui en était l'auteur, et les signataires Mykola Koultchynsky et Volodymyr Savtchenko ; en 1969, les signataires de la lettre ont été arrêtés et condamnés : Sokoulski à 4 ans et demi de goulag, Koultchynski à 2 ans et demi, Savtchenko a été condamné à une peine avec sursis.
[12] Ivan Sokoulski (1940 – 1992) : poète et dissident ukrainien. Entre 1969 et 1973, puis entre 1980 et 1988 au goulag. A partir de 1979, membre du Groupe ukrainien de Helsinki.
[13] Mykola Koultchynsky : journaliste et dissident ukrainien ; entre 1969 - 1973 au goulag ; entre 1994 et 2000, député au conseil de la région de Poltava.
[14] Volodymyr Savtchenko : dissident ukrainien ; entre 1962 et 1968 au goulag.
[15] Pavel Postytchev (1887-1939) : militant du parti communiste ukrainien de nationalité russe ; à partir de 1933, premier secrétaire du comité régional de Kiev, pratiquement chef du parti communiste d’Ukraine.
[16] Dmytro Zerov (1895-1971) : botaniste ukrainien, entre 1946 et 1963, directeur de l'Institut de botanique de l'Académie des sciences de la République socialiste soviétique d’Ukraine.
[17] Ivan Khel (1937-2011) : dissident ukrainien ; entre 1965 et 1968 puis entre 1972 et 1987 au goulag ; en 1987, il devient président du comité de défense de l'Église gréco-catholique ukrainienne ; en 1988, le rédacteur en chef du périodique Khrystiansky Kholos [Voix chrétienne] ; entre 1990 - 1994 vice-président du conseil régional de Lviv.
[18] Roman Choukhevytch (1907-1950) : activiste du mouvement national ukrainien, dans l'Organisation militaire ukrainienne, président de l'exécutif national de l'OUN-B pour le Gouvernement Général, capitaine du 201e bataillon de la Schutzmannschaft, général et commandant en chef de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne, président du secrétariat général du Conseil général ukrainien de libération ; coresponsable de la mise en œuvre par l'Armée insurrectionnelle d’Ukraine de « l'action anti-polonaise ».
[19] Oleksa Riznikiv (Riznytchenko) (1937) : écrivain ukrainien, participe dans les années 1960 au mouvement dissident ; entre 1960 et 1961, puis entre 1971 et 1977 au goulag ; 1997, à la tête de la Société « Mémorial ».
[20] Oleksa Prytyka (1932) : dissident ukrainien ; arrêté en 1971 et, l’année suivante, condamné à 2 ans et demi de prison.
[21] Smoloskyp : maison d'édition ukrainienne émigrée fondée à Baltimore, en 1967. Son premier directeur était Osyp Zinkevytch (1967-1977) ; la maison d'édition s'est spécialisée dans la publication d'œuvres des écrivains ukrainiens des années 1920 et 1930 ; après la déclaration d'indépendance de l'Ukraine, la maison d'édition a déménagé à Kiev.
[22] Leopold Yachtchenko (1928) : historien de l'art ukrainien, chef d'orchestre, compositeur ; l'un des activistes du renouveau national des années 1960-90 ; entre 1969 et 1971 et depuis 1984, directeur du chœur « Khomin » ; en 1971, expulsé de l'Union des compositeurs d'Ukraine pour la participation du chœur aux funérailles d'Alla Khorska (7 décembre 1970).
[23] « Khomin » : chœur folklorique ukrainien fondé à Kiev en 1969, a participé aux célébrations patriotiques devant le monument de T. Chevtchenko ; après sa participation aux funérailles d'Alla Khorska, il a été interdit de se produire.
[24] Alla Khorska (1929 - 1970) : peintre, l'une des principales figures du mouvement des années 1960. Entre 1959-1964, animatrice du Club de la jeunesse créative « Soutchasnyk » ; en 1965, elle proteste contre les arrestations parmi l'intelligentsia ukrainienne, organise l'aide aux personnes arrêtées et à leurs familles ; en 1968, elle signe la « Lettre 139 » au secrétaire général du PCUS L. Brejnev, dont les signataires protestaient contre les arrestations de la jeunesse en Ukraine et à Moscou ; exclue de l'Union des artistes.
[25] Mykhailo Braytchevsky (1924 - 2001) : archéologue, historien, poète, participant du mouvement des années 1960 ; signataire de la « Lettre 139 ». Licencié de l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences de l’URSS. A partir de 1992, professeur au département d'histoire de l'Académie Mohyla de Kiev.
[26] Khrykhoriy Kotchour (1908 - 1994) : l'un des traducteurs majeurs ukrainiens du XXe siècle, poète et historien littéraire. Arrêté en 1943 pour appartenance à l'OUN et condamné en 1944 à dix ans de camp. Réhabilité en 1957 ; signataire de la « Lettre 139 » en 1968 ; radié de l'Union des écrivains d'Ukraine après le « Grand Pogrom ».
[27] Mykola Loukach (1919 - 1988) : l'un des majeurs traducteurs ukrainiens du XXe siècle, polyglotte ; après l'arrestation d'Ivan Dziouba en 1972, il a déclaré qu'il était prêt à purger sa peine de prison à sa place, après quoi il a été assigné à résidence ; en 1973, radié de l'Union des écrivains d'Ukraine.
[28] Fedir Chevtchenko (1914) : historien ukrainien ; entre 1968 et 1972, directeur de l'Institut d'archéologie de l'Académie des sciences de l'URSS.
[29] Olena Apanovytch (1919 - 2000) : historienne ukraino-soviétique d'origine biélorusse ; entre 1950 et 1972, à l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences de l'URSS ; en 1966, membre du conseil d'administration de la Société ukrainienne pour la protection des monuments historiques et culturels ; 1989 directrice scientifique de l'expédition « Zaporyska Sitch ».
[30] Vasyl Skrypka (1930 - 1997) : chercheur en folklore ukrainien, activiste social, participant du mouvement des années 1960 ; en 1972, licencié de l'Institut d'histoire de l'art, de folklore et d'ethnographie de l'Académie des sciences de l’URSS.
[31] Tamara Khirnyk (1926 - 1989) : ethnographe ukrainienne.
[32] Khryhoriy Noudkha (1913 - 1994) : écrivain, historien de la littérature et du folklore ; depuis 1944, à l'Institut de littérature de l'Académie des sciences de l’URSS ; en 1945, arrêté et condamné à 10 ans de prison ; en 1951 libéré et en 1967 officiellement réhabilité ; depuis 1957, de retour à l'Institut de littérature ; rédacteur en chef du mensuel littéraire Jovten.
[33] Roman Kyrtchiv (1930) : historien de la littérature et du folklore, ethnographe ; entre 1958 et 1972 à l'Institut des sciences sociales de l'Académie des sciences de l'URSS.
[34] Vasyl Khorbatchouk (1929 - 2013) : linguiste ; de 1956 à 1972, professeur aux universités pédagogiques de Mykolaiv, Jytomyr et Vinnitsa ; licencié en 1972.
[35] Vasyl Zakhartchenko (1936) : écrivain, journaliste et dissident ukrainien ; entre 1972 et 1976, prisonnier des camps.
[36] La situation a changé à la fin des années 1970, lorsque les généraux Petro Krykhorenko (1977), Valentin Moroz (1979), Leonid Plouch (1976) et Nadia Svitlytchna (1978), entre autres, ont été autorisés à se rendre à l'Ouest.