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Helena Zamoyska przy samochodzie. Francja, 1958 / Sygn. FIL04856
FOT. AUGUST ZAMOYSKI

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Déportation à la française


STANISŁAW MANCEWICZ


L'action commence dans la nuit du 2 au 3 mars 1960. Au cours des deux jours suivants, des policiers en civil investissent quelques centaines d'appartements d'une capitale européenne. A l’heure du laitier, on fait part aux personnes tirées de leur sommeil, d’une « mesure administrative d’éloignement », signée le 27 février par le Ministre de l'intérieur. Ceux qui n’ont pas été trouvés à leur domicile sont attendus dans leurs cages d'escalier ou devant leurs immeubles ; d'autres sont cueillis sur leur lieu de travail. Le Varsovie de Gomulka? Le Budapest de Kadar? Le Prague de Novotny? Le scénario aurait été classique dans ces trois capitales. Mais cette journée-là est calme derrière le rideau de fer. Rien ne fournit de prétexte à ce vaste coup de filet. Quel est donc le pays dans lequel des centaines de personnes furent tirées du lit ?
 
Ce pays c'est la France
 
Ces moments dramatiques sont vécus par réfugiés politiques d’Europe de l'Est sous la cinquième République, sous la présidence de Charles de Gaulle, le plus grand homme politique du globe par la taille, le général français préféré du monde démocratique. Aujourd'hui cela parait incroyable, et pourtant c'est vrai. Des Polonais, des Bulgares, des Hongrois, des Serbes, des Croates, des Tchèques, des Ukrainiens, des Russes, des Biélorusses, des Lituaniens, mais aussi des Espagnols et même des Chinois, sont arrêtés. Tous sont des activistes anticommunistes qui militent dans des organisations politiques d’exilés, légales et enregistrées, des associations d’anciens combattants, des associations d'entraide et même des organisations caritatives.  
Tous étaient en possession de leur carte de séjour; presque tous étaient titulaires du passeport Nansen, le passeport du réfugié politique. On sait très bien ce que fuyaient nos réfugiés d'Europe de l'Est et d'Europe centrale. Les Espagnols communisants ont fui leur pays sous Franco, et les Chinois arrêtés ont fui aussi bien Mao que Tchang Kaï-Chek. Les plus nombreux et les plus jeunes sont les Hongrois, blessés pendant l'insurrection hongroise de 1956 et, qui depuis peu, essayent de s’intégrer, d’organiser leurs vies dans un monde libre.

C’est Nikita Khrouchtchev, ou plus exactement sa visite en France, qui pousse de Gaulle à décider d’une telle action. Les Français tremblent pour la vie et la bonne humeur du premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique. Aucune personne hostile à ses idées, susceptible de mettre une bombe, tirer ou encore brandir une banderole, ne doit se trouver dans la rue ce jour-la.
Les hommes arrêtés ne sont pas des snipers, certains âgés et malades, n'ont aucune idée de ce qui se passe, et sont sûrs d’être renvoyés de force dans leurs dangereuses contrées, persuadés que la France a soudainement changé d'avis à leur égard et qu'elle a cessé d'être une république. Et que pour eux, c'est la fin...
Le contenu du mandat qu’on leur présente leur glace le sang :

„Considérant que le maintien de l’ordre et les raisons impérieuses de sécurité exigent l’éloignement de l’étranger sus-désigné […]
Considérant qu’il y a lieu de lui faire application de l’article 25 de l’Ordonnance précitée concernant le cas d’urgence absolue […]
Article 1 : Il est enjoint au sus-nommé de sortir du territoire français.
 Dans les articles 2 et 3, on ajoute que jusqu'au moment où il aura la possibilité de le faire, le « sus-nommé » aura l'obligation de séjourner dans les lieux indiqués par le préfet de Corse dans son département. Les Préfets de Corse sont dans l'obligation d’exécuter le présent arrêté dans tous les domaines. Paris le 27 février 1960. Signature pour le Ministre de l'Intérieur.”
 
C'est la déportation, mais avant ils seront internés. Le lieu de la déportation n’adoucit pas l’horreur. Faute de Sibérie, ce sera la belle et chaude Corse. Pour l'instant, l’imprécision de la police intrigue : la liste des candidats à la déportation a-t-elle été établie par la seule police française ou bien les noms ont-t-ils été fournis par les régimes intéressés? Pour la plupart des embarqués il semble logique que la police française agisse à présent sur les ordres du KGB.
 
Ovation dans une épicerie.
 
La France accueille Khrouchtchev à la hauteur de ses espérances. Son arrivée est saluée par une salve de 101 coups de canons.
 
Pour se faire une idée de ce à quoi ressemblait Paris pendant la visite de Nikita Khrouchtchev, il suffit de taper « PKF 1960 14a » dans la fenêtre de recherche du portail bien connu pour ses vidéos du monde entier. Le commentaire du lecteur polonais est accompagné d’une musique très pathétique illustrant le propos. Khrouchtchev circule en limousine parmi la foule en liesse, rencontre Michel Debré à l’Hôtel de ville, rédige un mot dans le Livre d’or, à la page calligraphiée à son intention à la manière russe. Devant l’Hôtel de ville une énorme ovation pour fêter
« L’amitié franco-soviétique » ; puis un magnifique dîner au Quai d’Orsay avec de Gaulle et les élites françaises, et pour finir, la visite rituelle de l’appartement où vécut Lénine, ceci en compagnie de Maurice Thorez, chef du Parti communiste français. Partout sur les points de passage de son itinéraire, « des manifestations spontanées, des foules de plusieurs milliers de personnes ». Nina, épouse de Monsieur K. comme on appelle  Khrouchtchev en France, privée de la compagnie habituelle des femmes kolkhoziennes, visite les Galeries Lafayette, tous ses étages et ses rayons, accueillie par une ovation des clients et du personnel. Ensuite elle se rend au Louvre où elle regarde très attentivement l’œuvre illustre de Leonard de Vinci, fleuron du tourisme parisien. Pendant ce temps-là Khrouchtchev raconte des anecdotes au Club de la Presse. Partout enchantement et exaltation. Tandis que les journalistes notent les blagues du premier secrétaire du Parti communiste de l’Union Soviétique, quelques centaines de personnes sont depuis vingt jours internées en Corse.
 
Comme des vacances
 
Le transport des prisonniers vers la Corse a commencé le 4 mars. Avant leur départ ils ont été détenus, au grand complet, dans différents lieux  - dépôts de commissariats, entrepôts voire même cantines de la police. Tous ont été transférés sur l'île en avion et installés dans des hôtels et des campings, principalement sur la côte ouest de l'île. Un des groupes a été mis en détention dans la fameuse caserne de la Légion étrangère à Calvi.
Les conditions d’internement étaient supportables. Ils n'étaient pas vraiment enfermés, ils vivaient au frais du contribuable français dans des hôtels souvent de bonne qualité, nourris et l’on leur donnait une modique somme d'argent, sorte d'argent de poche. Ils ne sont ni maltraités ni même interrogés. Ils  pouvaient se promener, et même visiter leurs camarades  dans les  villages voisins. Le comportement de la police, de l'armée et de la population locale envers les internés était irréprochable. On a enregistré deux décès, des personnes âgées mortes de crise cardiaque, et quelques accidents mineurs, tous naturels. Il est évident que la privation de liberté a eu une influence sur l'état de santé physique et morale des internés. Il ne faut pas oublier que chacun d'eux avait en poche ce fameux document où était écrit noir sur blanc qu'ils seraient bientôt expulsés. Ils bronzaient sur les plages corses avec l'idée que c'était peut-être la dernière plage de leur vie. Ils sont restés en Corse un mois, puis ils sont rentrés chez eux.
 
Les rares activistes émigrés qui réussirent à éviter cette aventure furent ceux de Kultura et ceci grâce aux excellentes relations qu’avait Jerzy Giedroyc au Ministère des Affaires Étrangères. Mais tout de même, comme écrivait Le Monde dans une petite note du 24 mars 1960, Tous les collaborateurs de la revue polonaise Kultura sont obligés de se présenter deux fois par jour (!) au commissariat de police de Maisons-Laffitte.
De cette affaire  d’internement il est question dans l'immense correspondance du Rédacteur. L'écrivain Andrzej Bobkowski, parti depuis un moment au Guatemala, s’inquiète ; il apprend l'affaire dans la presse locale et, lance, dans une de ses lettres à Giedroyc, des mots assez forts. Ce n'est pas la France, c'est le mal français, la syphilis. Ce dernier ne rebondit pas sur le sujet, et répond en parlant de la mauvaise santé de ses chats. Est-ce un message codé? Bobkowski poursuit sur le sujet dans une autre lettre. Cette lettre, envoyée par la poste, n'est pas arrivée au destinataire à temps. Bobkowski pense qu’elle a été confisquée par des postiers français pro-soviétiques. Puis la lettre est retrouvée, Giedroyc la trouve très bien, mais ne dit toujours rien de la Corse, bien que deux fois par jour il doive courir au commissariat et que ce ne soit pas vraiment la porte à côté.  Lettre du 16 mars 1960, adressée au journaliste ukrainien  Bohdan Osadczuk (mort en 2001) : Pour l'instant on ne nous a pas envoyé en Corse. Je publie d'ailleurs un long reportage de Janusz Laskowski, l'un des internés. En principe ils devraient être de retour entre le 30 avril et le 7 mai […] Les conditions sont acceptables, mais ils sont coupés de toute information écrite et de divertissements. Bien évidement je leur ai envoyé nos livres et je mène une  action similaire auprès des Ukrainiens, Hongrois, Russes, Serbes, Lituaniens et Biélorusses. Personne n'y a pensé. Je conseille aux internés de laisser ces livres au moment du départ à la préfecture d'Ajaccio, pour créer l'embryon d'une bibliothèque sur l'Europe de l'Est. Ça peut toujours servir à l'avenir.
 
Ceux qui connaissent les idées de Giedroyc savent que ce « bien évidemment » au sujet des livres exprime leur essence. Sur le même ton, avec un peu plus d'émotion, il écrit le même jour à Jerzy Stempowski. Heureusement  (pour l'instant) nous n'avons pas trop de problèmes liés à la visite de Monsieur « K ». Mais ne nous avançons  pas trop, les déportations en Corse continuent […] Je passe énormément de temps à m'occuper des internés, car pratiquement personne ne s'en soucie.
Bien sur quand il dit  « ne s’en soucie » il parle de l’envoi des livres, pas des bananes. Entre parenthèses, à Ajaccio il n’y a toujours pas de « bibliothèque sur l’Europe de l'Est ». Stempowski répond sur le ton de la plaisanterie : j'espère que cette visite sera pleine d'épisodes pittoresques et source d'épanchements très particuliers. J'espère que vous allez nous les faire partager.
 
Dans le panier à salade
 
Le texte de Janusz Laskowski évoqué ci-dessus, (Laskowski - écrivain, poète, journaliste, militant du PPS - Parti socialiste polonais en exil, mort en 1975), est paru dans le numéro de Kultura d'avril 1960 sous le titre Le vent d'Est souffle au-dessus de la Corse. C'est probablement l'unique description à-peu-près complète de ces événements. L'article démarre sur le ton de la farce, la suite est plus sérieuse. Depuis son arrestation dans la matinée, Laskowski circule dans un fourgon de police (appelé par les Français panier à salade [en français dans le texte], de commissariat en commissariat parisiens ; les policiers embarquent dans le fourgon de nouveaux internés. Apparaissent les noms des Polonais. Adam Bitowski, du parti paysan de Mikołajczyk, Mieczysław Biernacki du ONR, mouvement nationaliste, artiste peintre Lewandowski, Seweryn Eustachiewicz du Parti travailliste polonais, montent dans le fourgon. Dans l'après-midi ils sont transférés dans un ancien hôpital, transformé en école de police et enfermés dans une ancienne chapelle.  Dans la foule Laskowski aperçoit un homme proche de 80 ans. C'est un communiste espagnol. Le type est désespéré […] Pendant la guerre civile en Espagne, les républicains voyait en Staline leur ami le plus fidèle, et étaient prêts à se faire tuer pour que Staline les aide. Et maintenant ce communiste espagnol, ce vieillard, est déporté; craignent-ils vraiment qu'il fasse un attentat contre Khrouchtchev? […]Dans le nouveau fourgon, j'aperçois monsieur Kwaśny, président ou plutôt ancien président du Syndicat d'ouvriers et d'artisans polonais à Paris. Il a eu des gros problèmes : il n'est pas réfugié politique, il est citoyen polonais et peintre en bâtiment. L'ambassade de Pologne communiste à Paris lui propose un travail - repeindre les murs de ses bâtiments. Il accepte et cela suffit pour qu'une partie de l'émigration le traite de « suppôt du régime ». Et cet ex-président, ce « suppôt du régime » fait à présent partie des déportés en Corse. Il y a aussi quelques chinois apeurés qui on fui le Taiwan de Chiang Kaï-chek, des Tchèques et de nouveau quelques Polonais. Après une nuit passée en cellule, les prisonniers sont amenés en fourgons à Orly, escortés par des motards. Dans l'avion ils ont accès aux journaux qui évoquent déjà ce qui ce passe. Dans Combat ils peuvent lire : Le Sénateur de Seine-Maritime, Monsieur Jean Lecanuet, a déposé une interpellation écrite au Ministre de l'Intérieur : « Comment conciliez-vous le droit sacré à l'asile  des réfugiés étrangers et les arrestations des réfugiés politiques des pays de l’Europe de l’Est ? ».
Et dans Le Monde : La commission exécutive de la Fédération socialiste de la Seine élève la plus ferme protestation contre les nombreuses arrestations, dans la région parisienne, de réfugiés politiques des pays de l’Est européen victimes de l'oppression soviétique qui bénéficiaient d'un droit d'asile conformément aux traditions de la démocratie française.
Le 10 mars 1960, M. Henri Caillemer, député "indépendant" de la Vendée, demande au premier ministre si l'envoi en Corse pendant toute la durée du voyage en France de M. Khrouchtchev d'environ mille réfugiés originaires des nations situées au delà du rideau de fer et qui n'ont jamais trahi leur devoir envers notre pays lui parait conforme aux traditions d'hospitalité et à l'honneur national.
Il demande en outre si la liste de ces proscrits a été établie par la police française seule […] ou si la police française s'est trouvée devoir, dans cet affaire, collaborer avec la police soviétique et l'ambassade d’URSS en France, en leur fournissant ou en leur demandant des renseignements […]
Le Figaro, scandalisé, publie le texte de la protestation de L'Union des Ecrivains ; ça réconforte. Ils atterrissent en Corse.
 
La plage
 
Laskowski poursuit : Un jeune employé du bureau du préfet de Corse questionne les représentants de différents groupes nationaux. Veulent-ils se retrouver entre compatriotes, ou se mélanger aux autres? - A nous, les Polonais, ça nous est égal - je réponds au nom du groupe - nous partirons avec n'importe quel groupe ou nationalité, l'important est d'être un prisonnier digne, d’en sortir la tête haute. Tout le monde partage cet avis. - Avec les Ukrainiens, ou les Croates ?  - Nous partirons avec les Ukrainiens […]  L'employé revient pour nous dire que nous partons à Porto Vecchio. Où est-ce? Au bord de la mer. Un monsieur âgé qui s'avère être le Préfet de Corse, vante la beauté de l'endroit. Si parmi les internés il y a un artiste peintre, il appréciera certainement ce coin de l’ile.
Les cigarettes sont beaucoup moins chères qu'à Paris. Il y a aussi du vin, on discute de son prix avec le propriétaire de l'hôtel, et quand il commence à y ajouter de l'eau, les nôtres sont furieux. Ils ont très beau temps, même s'il fait froid. Il n'y a pas d'eau chaude à l'hôtel, mais l'ennui et les articles dans la presse française qui parlent de vacances de luxe au frais du contribuable, les touchent. Un Bulgare meurt de crise cardiaque, un Hongrois tombe d'un rocher, un autre essaie de pêcher même si c'est interdit... Les  jeunes dépensent leur argent en alcool, fleurissent les jeux de hasard. Les parents qui ont emmené leur bébé ont des problèmes de vêtements, un ministre lituanien d'avant la guerre sert la messe célébrée par un prêtre croate. L'absurde est à son apogée. Laskowski termine son récit sans donner le nombre de Polonais internés en Corse, bien qu'il ait eu l'intention de les compter. Il envoie son texte à Giedroyc de la poste du coin.
 
 
 

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