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Józef Czapski, Portrait de Bohdan Osadczuk, l'huile. / Sygn. AG_7491
FOT. ADAM GOLEC

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L'Ukraine et ses voisins


BOHDAN OSADCZUK


Au bout d’un square, devant le parlement, les Tatars de Crimée ont dressé leurs tentes. Ils protestent contre le bafouement de leurs droits sur la péninsule devenue l'objet d'un conflit entre la Russie et l'Ukraine. Ils exigent de Kiev une politique ferme contre les appétits de Moscou. Ils demandent une assistance matérielle et juridique pour rapatrier leurs compatriotes, déportés par Staline en Asie centrale. Sous Gorbatchev, la Russie s'est engagée à financer le rapatriement. Aujourd'hui, la démocratie d'Eltsine ne veut plus s'en souvenir. Le chef des Tatars de Crimée, Djemilev, y voit un complot en coulisse des nationalistes russes que Boris Eltsine ne veut apparemment pas titiller. L'Ukraine, en revanche, semble avoir abandonné son action en faveur de ses alliés tatars pendant sa transition historique. Peut-être Kiev ne voulait-il pas irriter les Russes et se berçait aussi d'illusions sur la loyauté du groupe de population le plus puissant de la péninsule. Cette population dispose de tous les droits à l’organisation et à la culture. La domination des Russes s'exerce aux dépens des Ukrainiens et des Tatars, ceux-là ne disposent pas, loin s'en faut, d’une infime partie des écoles et de la presse dont disposent les Russes. L’essence de la situation réside dans le fait que les Russes ne peuvent revendiquer la Crimée qu'à titre colonial. Récemment, le parlement russe a adopté une résolution selon laquelle la cession de la Crimée à l'Ukraine par Khrouchtchev, en 1955, était « illégale » parce qu’elle avait été approuvée par le présidium du Conseil suprême et non lors d’une séance plénière. C’est un stratagème très malhonnête puisque tous les accords internationaux conclus en Union soviétique, au cours de la période stalinienne et dans les années qui ont suivi jusqu'à la perestroïka, ont été soumis à cette procédure, y compris l'annexion des îles Kouriles, de la Carélie et de la Prusse orientale. Roman Chporlouk, professeur de Harvard, a reproché ce péché aux partisans de la « légalité » qui suivent le critère sélectif post-impérial de Moscou, mais, comme d'habitude dans des circonstances similaires, sa voix n’a pas été suivie d’effet.

Kravtchouk, avant l'élection présidentielle et le plébiscite sur l'indépendance, a convaincu la plupart des représentants russes en Crimée du bienfondé du maintien des liens étroits avec l'Ukraine. Mais cela a eu lieu à une époque de séisme politique en Russie. L'élite russe en Crimée est constituée de la vieille nomenklatura communiste. Y priment des anciens apparatchiks du parti comme Bagrov, des officiers de la marine russe, des anciens KGB-istes. Il y vit également la plus haute strate coloniale de différentes périodes. Chaque année, des généraux à la retraite, des secrétaires, des directeurs de sociétés d'Etat, des membres éminents de l'Académie des sciences, leurs épouses et concubines - tous se ruent en Crimée, et nombre de ces « hauts gradés » possèdent des datchas acquises dans de louches procédures. Officiellement, le régime bolchevique-communiste n'accordait aucun droit de propriété, ce qui maintenait ces rangées de bureaucrates dans la crainte constante de perdre leurs privilèges.

Influencés par les ambitions montantes de super-puissance à Moscou, les sentiments séparatistes anti-ukrainiens ont été ravivés. Kiev a d'abord tenté de régler la question à l'amiable en délimitant les compétences entre le « continent » et la péninsule. Mais les chefs séparatistes menacent d'organiser un plébiscite et de faire sécession. L'Ukraine leur a offert une large autonomie dans l'Etat commun, déclarant que la sécession serait une violation de la constitution ukrainienne. Kiev a également rappelé les énormes investissements réalisés sur le budget ukrainien, depuis 1955, qui devraient être remboursés d'une manière ou d'une autre, en cas de sécession. Presque au même moment, les autorités ukrainiennes ont convenu avec le gouvernement de l'Ouzbékistan d'accélérer le rapatriement des Tatars de Crimée sur leurs terres autochtones. Cette question a été fortement soutenue par la Turquie lors de la récente visite du président Kravtchouk à Ankara.

Mais les séparatistes russes agissent dans la direction opposée. Ils ont fondé la société de vente de terrains « Condor » qui propose des parcelles de terrain exclusivement à des clients russes, pour des sommes dérisoires, dans le cadre d'une privatisation. Le conflit se poursuit et, en cas de sécession, la partition de la péninsule en sera probablement le prochain acte. Le nord reviendra probablement à l’Ukraine. La partie restante de Crimée sera toutefois toujours à la merci de l'Ukraine qui l’approvisionne en l'eau et l'électricité. Et comment les Tatars vont-ils réagir ? Que dira l'ensemble du monde musulman ?

Le différend concernant la flotte de la mer Noire est, pas totalement mais en sérieuse partie, lié à la crise de Crimée. L'Ukraine a décidé d'adopter une politique active dans le bassin de la mer Noire, en tant que le co-gérant de la région et, avec la Turquie, la Bulgarie et, si possible, la Géorgie et la Roumanie, de mettre fin à la politique belliqueuse de la Russie. Ainsi se sont croisés deux concepts différents du rôle et de la fonction de la flotte de la mer Noire. La Russie poursuit sa doctrine impériale séculaire, l'Ukraine développe le concept de coopération pacifique. Mais ce n'est qu'un élément de la controverse. Moscou est incapable d'accepter l'idée que, avec la chute de l’empire soviétique, l'ère de son hégémonie sur la côte ukrainienne touche à sa fin. En deux cents ans, le mythe a pris de l'ampleur et, aujourd'hui, il est difficile de trouver un Russe exempt de l'utopie coloniale. La situation est la pire dans le corps des officiers du commandement naval de la côte ukrainienne. Il s'agit peut-être du groupe le plus chauvin parmi les Russes, celui qui rejette catégoriquement des réalités post-coloniales. Ce qui rappelle vivement l'attitude des généraux français à Alger pendant le déclin du colonialisme français. Kiev ne demande pas une prise de contrôle immédiate de l'ensemble de la flotte de la mer Noire. Elle demande seulement un règlement à l'amiable et le redéploiement des officiers et du personnel de la marine, selon des critères nationaux. La plupart des navires de guerre ont été construits dans des chantiers navals ukrainiens, avec de l'argent ukrainien et par des mains ukrainiennes. Moscou ne veut pas le reconnaître, tout comme elle ne veut pas renoncer aux propriétés de la Communauté à l'étranger. La diplomatie ukrainienne n'a nulle part où s'installer alors que la Russie s’usurpe le droit à tous les bâtiments des ambassades et des délégations commerciales de l'ancienne Union soviétique. Dans la seule ville de Budapest, il existe une trentaine de maisons de ce genre, l'Ukraine a dû pourtant trouver le siège pour son ambassade dans une maison louée par une société ukraino-hongroise. Et il en va de même dans le monde entier. À Kiev, au cours de la réunion de la Communauté, un membre de la délégation du Turkestan a lancé au visage d'Eltsine l’accusation qui suit : « Vous étiez et vous êtes toujours les pires voleurs du monde ».

Cela ne se passe pas mieux avec la répartition des stocks d'or, de diamants et de devises. Le nouveau Kremlin renonce à donner des informations à ce sujet, tout comme sur la question des gisements et de l'exploitation du pétrole. Toutes les républiques ont apporté des fonds considérables au développement de l'économie pétrolière, l'Ukraine peut-être le plus. Les puits de pétrole du nord sont l'œuvre de spécialistes ukrainiens formés à Borylav et Drohobytch. Un demi-million d'ingénieurs et d’ouvriers environ qui travaillent dans l'industrie pétrolière en Russie sont des citoyens ukrainiens, principalement de la région du Piémont des Carpathes. Ce sont eux qui ont conclu un accord avec le gouvernement ukrainien sur la création d'entreprises privées. Maintenant, les partenaires attendent de voir ce qui en découlera. Si le projet échoue et qu'une guerre tarifaire éclate entre la Russie et l'Ukraine, Kiev devra probablement demander à ses citoyens de quitter leur emploi dans l'industrie pétrolière russe.

Pour l'instant, l'Ukraine tente de se protéger en cas d'embargo pétrolier russe. Cet objectif a impliqué deux délégations ukrainiennes à Téhéran. L'Iran est le partenaire commercial traditionnel de l'Ukraine, et le pétrole doit être acheminé depuis ce pays, d'abord par navires-citernes, puis par oléoducs. D’ailleurs, l'ouverture de l'Ukraine s'est d'abord faite vers l'Est, vers l'Inde, l'Iran et la Turquie.

L'ouverture à l'Ouest s'est faite dans trois directions : vers l'Allemagne, l'Italie et l'Amérique. Toute d’abord, Kiev a joué la partition bavaroise, en raison de son partenariat avec Munich, entamé avant même l'indépendance. Mais il s’est rapidement avéré qu'il était difficile d’atteindre Bonn par les chemins bavarois, et la question était d'autant plus grave que l'Allemagne lorgnait vers la Russie. Il s’agit là d'anciens penchants et de courants plus récents, liés à un culte exagéré de Gorbatchev et à la gratitude allemande pour Moscou d’avoir permis l'unification allemande. Ce que risquait Ukraine ce que l'aide allemande se concentre sur la Russie. Cette affaire fait partie de cruels paradoxes d'histoire parce que l'Ukraine, tout comme le Belarus, avait en premier lieu subi les conséquences de l'invasion de l'Allemagne nazie. Si, pendant la Seconde guerre, la France était un salon, la Pologne une prison, l'Ukraine, sous le fouet d'Erich Koch est devenue un enfer. Pour l’extermination de millions de vies, pour avoir brûlé deux fois le pays au cours de l'invasion et de la retraite, l'Ukraine n'a pas reçu un seul centime de réparation. Il est probablement trop tard aujourd’hui pour verser ne serait-ce qu'une symbolique pension à ces rares victimes qui ont survécu à la barbarie. Le président Kravtchouk, qui s'est rendu officieusement à deux reprises outre-Rhin, s'est vu promettre des crédits et aussi une assistance pour gérer et éliminer les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, mais la réalisation de ces projets tarde grandement.

La visite officielle de Kravtchouk aux États-Unis avait un caractère plus global, notamment en ce qui concerne le désarmement nucléaire. Mais là-bas aussi, il y avait une concurrence avec la Russie parce qu’il semblait jusqu’à peu que Bush misait clairement sur Eltsine. Bien que la Russie n'ait pas son lobby national à Washington, elle dispose, malgré l'antisémitisme qui se déchaîne dans les villes russes, de l’appui de la plupart des Juifs américains influents. De plus, les anciennes simplifications historiques et géographiques, qui mettent toutes les nations dans le même sac marqué « Russie », jouent en sa faveur. Et comme l'élite politique ukrainienne contrôlée par les nationalistes n'a pas le moindre contact avec les politiciens influents à Washington et dans d’autres Etats américains, cette fonction est assurée par procuration par des universitaires, par exemple des personnalités de Harvard, comme Zbigniew Brzezinski, Henry Kissinger et Richard Pipes. A Kiev, il n’y a pas d’idée claire à ce sujet, et le mythe d'une émigration toute puissante circule encore dans certains cercles, notamment au sein du « Mouvement ».

Le plus important domaine de l'action extérieure devrait toucher aux relations avec les voisins : Pologne, Biélorussie, Hongrie et Tchécoslovaquie. Malheureusement, cette affaire avance cahin-caha. Au début, il y a eu de belles déclarations et des annonces audacieuses qui se sont rapidement évaporées. Il n'y a qu'avec la Hongrie que des progrès ont été réalisés, mais avec Minsk, Varsovie et Prague, peu de choses ont été faites. L'Ukraine tourne encore en rond, ne parvient pas à trouver de concepts dignes des besoins et des tâches d'aujourd'hui. Il s'agit certes d'une question complexe : d'une part, il y a le partenariat - bien que boiteux - avec les anciennes républiques de l'Union soviétique et, d'autre part, il y a la nécessité de quitter, sans claquer la porte, la bâtisse envoûtante de cette compagnie bigarrée. La pauvreté de la pensée politique, l'absence de vision à long terme, le manque de courage pour chercher de nouvelles voies et de nouveaux horizons afin d'établir de nouvelles alliances, sans faire la queue pour être accepté dans les rangs des riches de Bruxelles en qualité de parents pauvres rappellent de manière frappante le terrain stérile de Varsovie. Je crains que le traité polono-ukrainien, préparé de longue date et prêt à la signature, après une brève euphorie au bord du Dniepr, et peut-être aussi de la Vistule, ne permette pas de vaincre la paresse et l'absence de vision pour ces deux Etats qui - seuls ensemble - pourraient assurer leur sécurité face aux adversaires traditionnels de notre indépendance.

Les sceptiques, surtout côté polonais, avaient l'habitude de regarder ces idées d'un air narquois et commenter d’un geste de dédain. C'est ainsi que l'on regardait, par le passé, les projets de Piłsudski, ce qui, après la victoire, ont abouti à la paix de Riga laquelle n'a rien réglé sur le plan historique, reportant juste une autre catastrophe. Si, dans notre région située entre la Baltique et la mer Noire, on ne trouve pas de penseurs de la trempe de Mieroszewski, s'ils n'incitent pas les hommes politiques à prendre des mesures concrètes, l’indépendance de la Pologne, du Belarus, de l'Ukraine et des pays baltes pourrait une fois de plus, en l'espace d'une génération, se trouver face à une menace de la disparition. Il ne faut pas oublier que la démocratie dans la nouvelle Russie repose sur des bases fragiles et que l'idée de prendre la revanche pour l'empire perdu fait de plus en plus d'adeptes. Par conséquent, si ces six Etats ne trouvent pas d’idée commune pour allier leur économie et leurs armées, aucun triangle de Visegrad, aucune communauté de la mer Noire ne les aidera. Si la Hongrie et la Tchécoslovaquie rejoignaient une telle alliance, il existerait une formation sérieuse située entre l'Allemagne et la Russie. Et puisque la Russie restera une puissance nucléaire, une telle zone sans atome, incluant l'Allemagne, devrait recevoir des garanties d'inviolabilité de la part de l'OTAN.

Kiev, 10 mai

[Kultura 1992, n° 6(537)]

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