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Jerzy Giedroyc przy pracy w gabinecie. Maisons-Laffitte, 1994 / Sygn. FIL00010
FOT. MONIKA JEZIOROWSKA

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Au-delà du cercle polonais


JERZY GIEDROYC


Je ne suis pas un homme sociable et je n’ai pas de don pour les langues étrangères. Même mon français est d’un niveau assez faible ce qui m’a beaucoup gêné. Mais „Kultura” disposait de ses deux ambassadeurs ou – mieux encore – de deux ministres des affaires étrangères : Józef Czapski et Kot Jeleński. Nous leur devions presque toutes nos relations dépassant le cercle polonais. Nous avons par exemple fait connaissance de James Burnham parce que Józef avait attiré son intérêt et, au cours d’un séjour à Paris, il est venu le voir. C’est à ce moment que nous nous sommes vus pour la première fois. J’étais intéressé par ses livres, nous avons mené à leur propos d’interminables débats, et « Kultura » les a publiés. Selon moi, le meilleur est l’Ere des organisateurs qui a été pour moi une révélation. 

Mes relations américaines sont inexistantes. Le seul ami américain que j’ai eu, même au sens strictement personnel, était Burnham. Nous le voyions, lui et sa femme, souvent parce qu’ils séjournaient fréquemment en Europe. Nous parlions français. Puisqu’il s’exprimait dans un français pas meilleur que le mien, cela ne me posait pas de problème. Et quand Józef est allé aux Etats-Unis quémander l’aumône, au moment le plus difficile pour nous, Burnham l’a beaucoup aidé. 

En sa qualité d’un des principaux organisateurs du Congrès pour la liberté de la culture, Burnham nous a aussi fait inviter à Berlin, Józef et moi. J’y étais allé avant, en 1930, longuement avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, pour des raisons purement personnelles : les parents de ma future femme, qui avaient décidé de s’installer en France, se sont arrêtés un moment à Berlin. Je m’y étais donc rendu pour la rencontrer et nous nous sommes fiancés. Vingt ans plus tard, Berlin était méconnaissable :  entièrement en ruines. Au Congrès régnait une atmosphère de peur, bon nombre de participants craignaient de se faire enlever par le NKVD. Je ne partageais pas ces angoisses et suis même allé faire un tour à Berlin Est pour voir la ville. La différence entre les deux Berlin n’était pas à l’époque aussi prononcée. 

La salle du Congrès était comble. Les propos de Józef sont devenus le grand événement de la session inaugurale. Soudain, il était la star du Congrès ce que les organisateurs n’avaient pas prévu. Son discours était très émouvant, comme d’habitude, chez Józef. Au début, il a prononcé deux phrases en allemand. La suite, en polonais. Mais le Congrès était bien organisé, et les traductions assurées. Ce qui a particulièrement frappé le public allemand c’étaient les propos sur la nécessité de la réconciliation entre la Pologne et l’Allemagne. Par la suite, Józef sera le précurseur des initiatives allant en ce sens.  

Je ne me souviens pas d’autres interventions. Ce qui m’importait avant tout c’étaient les coulisses, j’y ai fait connaissance des Ukrainiens, d’Osadczuk et de Lewycky, et des Russes : Nikolaïevski de « Sotsïalistitcheskiï Vestnik » (Le Journal socialiste) et de Wanda Pampuch-Brońska, par l’intermédiaire d’Osadczuk. A Berlin, j’avais aussi connu Irving Brown avec qui j’ai par la suite maintenu de très bons rapports. Nous nous sommes entretenus notamment de l’université des émigrés. Et je le revoyais encore à l’époque de la naissance de « Solidarnosc ». Mais pour « Kultura », ces relations n’ont pas eu d’impact concret. J’y ai aussi fait connaissance de Boroukhovitch, il me semble d’avoir bien retenu son nom. Il était trotskiste, ancien secrétaire de Lénine, il a joué un rôle important dans les syndicats. Il parlait parfaitement polonais, et tout indiquait que nous allions collaborer étroitement, un peu de la même manière qu’avec Burnham. Malheureusement, peu après notre rencontre à Berlin, Boroukhovich est mort subitement. 

Durant les premières années de l’existence du Congrès, l’une de mes initiatives concernait le Collège d’Europe libre de Strasbourg. Il s’agissait de créer une université pour les émigrés, étudiants de l’Europe de l’Est, qui aurait le statut d’établissement d’enseignement supérieur et disposerait d’un pensionnat. Burnham a reçu cette idée avec enthousiasme, il l’a adoptée et fait des efforts pour la réaliser. Tout cela a hélas accouché d’un monstre. Je m’attendais à ce qu’il dirige l’établissement, mais il a éclaté de rire quand je lui en ai parlé, et il m’a répondu que, installé à Washington, il n’avait aucune intention de quitter l’Amérique. C’est donc Potulicki qui en a pris la direction. Le Collège a existé plusieurs années, joué un certain rôle, plusieurs centaines de personnes y ayant reçu un diplôme et travaillé dans leur métier, à de bons postes. Toutefois, mon projet de créer un centre qui aurait non seulement un programme scientifique mais deviendrait un foyer unificateur pour l’Europe de l’Est a échoué. 

J’ai aussi pris part à la réunion du Congrès à Bruxelles ce qui m’a permis de faire connaissance avec Jeanne Hersch et Manes Sperber, dont je parlerai par la suite. Je fréquentais aussi les événements organisés par le Congrès à Paris, dans le cadre du festival « L’Œuvre du XXe siècle ». Je garde en mémoire un opéra moderne, le « Consul » sauf erreur de ma part, ce qui est d’autant plus bizarre que, en règle générale, je n’aime pas les opéras. C’en était le premier à me faire une aussi forte impression. 

Au départ, nos rapports avec le Congrès étaient tout à fait corrects. Józef y jouait un rôle assez important, surtout à Berlin. Grâce à son ancienne relation avec Nicolas Nabokov – compositeur et parent du célèbre écrivain, qui était à l’époque chef du Congrès et que Józef avait autrefois rencontré à Pétersbourg – nous avons pu faire entrer au Congrès Kot Jeleński. Nabokov l’a admis avec quelques réticences. Nous maintenions aussi des rapports corrects, mais distants, avec Josselson, le cerveau du Congrès, dont il s’est révélé, par la suite, qu’il y représentait la CIA ; c’était un homme très intéressant, doté d’une intelligence supérieure, très solide. 

Je n’ai jamais su s’il parlait polonais. Il affirmait que non. Mais je me souviens qu’il est passé prendre un thé chez nous, avec Jeleński, et qu’il est sorti à un moment dans le jardin, notre chien Black sur ses talons. Il s’est penché et lui dit en polonais « viens ici, mon chien, viens ». Une autre fois, alors que je me trouvais dans le bureau du Congrès et que je montrais à Jeleński un article qui m’enthousiasmait, Josselson s’est mis à y jeter des coups d’œil par-dessus nos épaules. « Mais vous ne connaissez pas le polonais », lui dis-je. Il a fait un sourire contraint et s’en est allé. Toujours est-il que Josselson était le plus intéressant parmi les hommes du Congrès. Jeleński le tenait en grande estime et le voyait même après qu’on ait appris que le Congrès avait été financé par la CIA, par son intermédiaire. 

Mais surtout c’est aux membres du Congrès que nous devions la promotion de Milosz, ils l’ont bien aidé. Ils publiaient ses essais et, comme ils disposaient d’un large budget, leurs honoraires étaient, sans comparaison aucune, plus attractifs que les nôtres. Nous étions aidés aussi par François Bondy avec qui j’entretenais de bonnes relations qui touchaient même la sphère privée. Nous allions chez lui, il venait chez nous. Mais nous n’abordions que des affaires culturelles et littéraires. Grâce à Jeleński et le Congrès, grâce plus précisément à Bondy et les « Preuves », il a été possible d’éditer Gombrowicz où il était largement publié. Cela fait partie de leurs grands mérites. Là, un rôle de taille revient à Bondy. Avant qu’il ne parte pour l’Argentine, nous avions insisté qu’il lui fallait y rencontrer Gombrowicz. Il est revenu enchanté par l’écrivain et, par la suite, c’est Kot qui suivait de près les affaires de Gombrowicz. 

En revanche, nous n’avons reçu, de la part du Congrès, aucune aide financière. J’y ai compté pendant un moment, à l’époque où nous vivions dans une situation matérielle particulièrement précaire, mais cela ne s’est jamais produit. Le Congrès nous a seulement aidés à financer la traduction de deux livres, de Simone Weil et de Raymond Aron, les deux ont été traduits par Miłosz. Pour cette raison, il est en fait difficile de parler d’une collaboration de « Kultura » avec le Congrès. Il a été question, à un moment, du projet de transformer « Kultura » en une revue du Congrès, mais cela n’a jamais dépassé de simples conversations et, je pense que cette idée n’avait aucune chance d’aboutir, ne serait-ce qu’en raison de notre volonté de garder une totale indépendance.  Nous n’entretenions pas de relations suivies avec les revues du Congrès. Nous leur soumettions des textes, surtout venant des « Preuves ». Dès notre première rencontre à Berlin, entre Melvin Lasky et moi, s’est installé une certaine froideur et une animosité, réciproque je crois. Cela ne m’empêchait pas d’envoyer des textes à « Der Monat », avec un succès inégal. Nous avons eu un conflit avec l’« Encounter », le journal du Congrès, à cause de Łabędź qui s’est comporté à notre égard de manière bien déloyale. J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire de Kot. Tout d’abord, nous avons été très amis, et Łabędź s’est beaucoup intéressé de Tertz et d’Arjak, les pseudonymes de Siniavski et Daniel. Puis, il y a eu l’affaire des actes de leur procès. Je les ai obtenus, et il a absolument voulu en connaitre le contenu et les publier. Je les ai donc passés à Łabędź à condition qu’il me les renvoie rapidement et qu’ils soient publiés en anglais seulement après leur parution en polonais. Łabędź n’a pas tenu sa parole, puis il n’a jamais essayé de s’expliquer, aussi je ne sais pas pourquoi il s’est comporté de la sorte.   

Dans nos relations avec les personnes que nous rencontrions au Congrès, nous devions au début briser de nombreuses antipathies, surtout de la part des Juifs. A Bruxelles, a eu lieu une rude confrontation avec Jeanne Hersch, devenue notre grande amie par la suite, à cause de son rapport très négatif envers l’émigration et les Polonais qu’elle tenait pour antisémites. Des scènes dramatiques s’y sont déroulées. En règle générale, je suis très posé, mais là nous avons crié à travers toute la salle, j’ai même tapé du poing sur la table. Mais comme cela arrivait souvent, les personnes hostiles au départ devenaient amicales, une fois nos contacts approfondis.  

Il en était ainsi avec Jeanne Hersch avec qui nous avons eu par la suite des liens amicaux, en grande partie grâce à Józef parce qu’elle est simplement tombée amoureuse de lui. Elle venait nous rendre visite, Zofia allait la voir à Genève quand elle se rendait en Suisse. Jeanne Hersch nous écrivait, attirait notre attention sur de nouveaux livres, elle prenait soin du vieux Vincenz qui était dans une situation matérielle difficile ; quand elle a acheté un appartement à Paris, Vincenz a habité chez elle durant quelques bons mois. Elle traduisait aussi Milosz. 

Il en a été de même avec Manes Sperber qui, au début, avait eu une réaction très négative envers « Kultura », non pas à cause des opinions exprimées dans la revue, mais parce qu’il était méfiant envers les Polonais. Par la suite, nous avons eu des relations proches, voire amicales. Il était très bienveillant à notre égard. C’est grâce à lui que nous avons obtenu les droits d’auteur de Koestler ; son premier livre était sorti encore à Rome, dans la traduction de Gustaw Herling, mais nous devons les droits de L’Obscurité à midi précisément à Sperber. Koestler a créé aussi une fondation qui nous donnait des petites sommes d’argent, de temps à autre. 

Sperber nous aidait à pénétrer dans les milieux français de l’édition et de la culture. C’est lui qui a permis de lancer, et avec un grand succès, Pawel Zdziechowski. J’ai fait connaissance de Pawel encore avant la guerre ; il a collaboré à « Bunt Młodych » (La Révolte des jeunes). Il était à l’époque, comme on dirait aujourd’hui, un playboy. Il était issu d’une famille de propriétaires terriens, il vivait dans l’aisance et avait le don des relations publiques. Par son intermédiaire, j’ai pu faire connaissance de bon nombre de personnes, de futurs collaborateurs, dont Straszewicz par exemple. Il était à la fois très intelligent et talentueux dans bien des domaines, mais il n’a pas réussi sa vie en émigration. Calmann-Lévy a publié son livre Torricola qui a emporté un large succès et l’éditeur a tout de suite signé avec lui un contrat pour trois autres titres ; mais Pawel était paresseux, il ne les a jamais écrits. Quand, des années après, il est revenu à l’écriture, il n’avait plus aucun succès. 

Tous ces contacts nous permettaient de sortir du ghetto polonais et d’agir dans le monde de la culture et de l’édition. Dans nos relations avec les autorités françaises et les milieux politiques, nous avons été grandement aidés par Malraux, l’une des bonnes connaissances de Józef, tout comme par une autre personne Anatol Muhlstein. Malraux nous a aidés à résoudre les problèmes administratifs au moment de l’achat de la maison. Il nous a aussi soutenus à l’époque où les autorités de Pologne protestaient contre l’existence de « Kultura ». Grâce à lui, de Gaulle ignorait les interventions de Cyrankiewicz, de Gomulka, des Soviétiques aussi, on nous en prévenait d’ailleurs officieusement. C’est aussi grâce à Malraux que les Français ont toujours gardé un comportement très correct à notre égard, que nous n’avons jamais rencontré d’obstacles de leur part. Mais mes rencontres avec Malraux étaient très sporadiques, c’est Józef qui le voyait. 

Anatol Muhlstein a été la deuxième personne qui nous a bien aidés dans nos contacts français. Józef avait fait sa connaissance encore avant la guerre, et me l’a présenté par la suite. Muhlstein est venu un jour voir Józef avenue Corneille, où nous habitions à l’époque. C’est là que nous nous sommes vus pour la première fois et avons eu une longue et intéressante conversation à bien des propos, notamment sur Beck que Muhlstein ne supportait pas alors que je le défendais, sur Sikorski que lui défendait devant moi à son tour, sur la situation en France. Une relation fort agréable s’ensuivrait. Il venait nous voir, nous allions avec Józef dîner chez lui. Nous nous voyions une fois par mois, une fois toutes les six semaines, relativement souvent pour les habitudes parisiennes. Nous devions à Muhlstein la bienveillante à notre égard du Quai d’Orsay et le fait que l’on nous informait de diverses attaques contre nous. Un autre ami de Józef, Jean Laloy, directeur de département dans le Ministère des affaires étrangères y a joué aussi son rôle. 

Muhlstein était un homme blessé. En raison de son antagonisme envers Beck, il avait contribué dans une large mesure, agissant en coulisses, à asseoir la position de Sikorski. Il comptait sur le poste d’ambassadeur en France. J’ai même l’impression que Sikorski le lui avait promis. Mais cela n’a pas eu lieu. On lui a alors proposé Bruxelles ou un autre lieu de second plan. Il s’est senti bafoué et a rompu ses relations avec Sikorski (qu’il avait largement lancé). Peut-être des intrigues purement personnelles y avaient joué ; peut-être Muhlstein avait-il déplu au professeur Kot ? Je n’exclus pas ici quelques raisons antisémites. 

 Muhlstein s’intéressait beaucoup aux affaires de Pologne. Il était ami avec René Mayer, créateur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. En 1956, je lui ai suggéré l’idée d’octroyer à la Pologne un grand prêt pour moderniser les mines, remboursable par le charbon dont les Français avaient alors bien besoin. Muhlstein devait même se rendre en Pologne pour le négocier. Mais Jędrychowski, chef de la Commission polonaise au plan, a torpillé tout le projet. 

Par Józef, j’ai aussi fait connaissance de Daniel Halévy. Celui-ci était, pour Józef, quelqu’un de proche, nous le voyions donc très souvent. Nous avions chez lui toutes sortes de discussions, plus particulièrement au sujet de la littérature française ; ces échanges m’ont permis de me faire une idée sur l’histoire et sur la vie culturelle française. Nous y voyions aussi Laloy. C’est aussi là que j’ai connu Gafencu, ancien ministre roumain des affaires étrangères qui a habité pendant un temps dans le même immeuble que Halévy. Par Józef de nouveau, j’ai fait la connaissance, mais assez superficielle, de Philippe Ariès, et grâce à Kot Jeleński, j’ai rencontré Raymond Aron. Nous avons assisté plusieurs fois à des réunions en sa présence, en petit comité, chez Bondy. Nous y avons parlé de son livre L’Opium des intellectuels [1], que nous avons publié ce qui le réjouissait, de l’Europe de l’Est et de la Russie. Nous n’avons pourtant pas entretenu de relations personnelles. Je tenais en grande estime ses articles, et mes analyses de la situation internationale lui devaient beaucoup. Il était dans tous les cas l’un de ces écrivains que je suivais de près. 

Quant à David Rousset, je l’ai rencontré durant son procès contre les « Lettres françaises ». Je n’ai pas été présent au procès même, mais j’ai pris part aux discussions avec les avocats qui se sont adressés à moi pour expertise. L’existence du Goulag était donc au centre du procès. A cette époque, j’aimais fréquenter les librairies et fouilleur leur stock. C’est ainsi que j’ai trouvé dans la librairie russe de la rue de l’Eperon un livre publié dans un camp que j’ai transmis aux avocats de Rousset :  pour eux, c’était une grande découverte, ils en ont fait usage pendant le procès. Claude Mauriac était un autre personnage avec qui j’ai eu des rapports sympathiques, mais de courte durée, je l’ai rencontré pendant l’organisation du Congrès. Il se trouvait dans la même situation que moi parce qu’il éditait une revue qui avait des difficultés financières, et lui aussi comptait sur de bonnes sommes d’argent, il ne les a d’ailleurs pas obtenues, sa revue a cessé de paraître. 

Dans la presse française, nous n’avions personne. Quand je voulais placer un article dans « Le Monde », je l’envoyais simplement par la poste. Dans ce journal, j’ai fait connaissance avec seulement deux de ses correspondants à Varsovie. J’avais rencontré Philippe Ben en Palestine encore, je crois. Il était éditorialiste de « Maariv », et nous nous revoyions quand il venait d’Israël en Europe. Après qu’il soit devenu correspondant du « Monde » à Varsovie, nous avons entamé des relations proches, il nous rendait visite à chacun de ses retours à Paris. Des années plus tard, quand « Le Monde » a envoyé à Varsovie Bernard Margueritte, nous avons eu au début de très bons rapports, il venait s’informer, chercher chez nous des contacts polonais ; mais cela a pris fin quand il s’est rapproché du PAX, par l’intermédiaire de sa femme.  

Il me faut évoquer aussi une autre connaissance de Józef qui date encore de l’époque de Rome : il s’agit de Malaparte. Un jour, il est venu voir Józef et lui a parlé de son dernier livre Storia di domani que l’on avait refusé de publier en Italie. Zofia Hertz lui a proposé de le publier par nos soins, dans sa traduction. Elle l’a faite et nous avons édité Historia jutra (L’Histoire de demain). A partir de ce moment, à chaque fois qu’il venait en France, Malaparte nous appelait et nous rendait visite, et quand on l’invitait à prononcer une conférence, il nous conviait aussi. Il m’intéressait comme écrivain encore avant la guerre et, après la guerre, nous avons lu avec Józef, La Peau et Kaputt, des livres formidables.  

C’est aussi Józef qui m’a introduit dans le cercle de l’émigration russe locale. J’ai donc noué des relations avec Roman Gul qui par la suite est parti à New York publier « Novyï Journal », et avec l’historien et publiciste Melgounov que nous voyions souvent, d’autant qu’il habitait près de chez nous. Le professeur Karpowicz de Harvard nous a rendu visite une seule fois, il vivait aux Etats-Unis, mais nous entretenions des rapports proches, surtout Józef. De l’époque postérieure datent des relations plus resserrées avec Irina Ilovaïskïa et sa revue « Russkaïa Mysl » (Pensée russe), ce que nous devons à Natalia Gorbanevska ; quant à la princesse Chakchovska, je l’ai connue peu et ne l’aimait pas vraiment. 

Nous avons rapidement noué des contacts en Union soviétique par l’intermédiaire de Baranov, secrétaire de la rédaction de « Novoï Mir » (Nouveau monde), qui voyageait à Cracovie où il s’approvisionnait en exemplaires de « Kultura » ; dans les locaux de leur rédaction, disait-on, il y avait des collections annuelles entières de « Kultura » dissimulées derrière un rideau. Notre publication de Siniavski et Daniel était un vrai événement. Le premier ouvrage de Siniavski est paru dans la revue « Esprit » grâce à Helena Zamoyska qui, catholique, y avait des entrées. Plus tard, sous l’influence d’August Zamoyski, ami de Józef, que je connaissais aussi, elle s’est décidée à nous apporter les textes de Siniavski et Daniel. Par la suite, nous avons publié Soljenitsyne. Dès que j’ai reçu un exemplaire de l’Archipel du Goulag, j’ai pensé que Jerzy Pomianowski, l’excellent traducteur de Babel, pouvait faire une parfaite traduction de ce livre. Ma proposition l’a enthousiasmé, et il a très bien accompli ce travail. 

Peu après son exil forcé à l’Ouest, Soljenitsyne nous a invités, Józef et moi, à Zurich. Il y a eu une soirée où il racontait son passé, puis il nous a demandé de rester, et nous avons eu à trois une discussion très intéressante sur les affaires polonaises. Soljenitsyne connaissait l’existence de « Kultura », il ne lisait pas toutefois en polonais. Cette rencontre a été pour moi un événement important, j’en garde un vif souvenir. 

Quand Maximov était venu à Paris, Soljenitsyne lui a conseillé de nous contacter pour profiter de nos conseils sur la création d’une revue, ce qui a donné pour résultat notre participation à « Kontinent ». Maximov ne parlait aucune autre langue que le russe, il a donc été complètement perdu, mais il disposait d’emblée d’une grande somme d’argent parce qu’il était financé par Springer. Nous avons noué une collaboration très amicale. Józef, Gustaw et moi-même sommes devenus membre de la rédaction de « Kontinent ». Nous allions aux réunions et autres raouts qui se tenaient dans l’appartement de Maximov. Józef y participait moins, nous y allions principalement avec Gustaw. Par l’intermédiaire de Maximov, j’ai fait connaissance de madame Bonner, qui venait en France, et par elle j’ai pris contact avec Sakharov. C’est grâce à ce dernier qu’a eu lieu la déclaration des militants russes pour l’indépendance de l’Ukraine, ce qui était pour moi très important. Pour la première fois, un cercle d’imminentes personnalités russes acceptaient l’idée de l’indépendance ukrainienne, à la condition que, dans certaines régions, il serait nécessaire d’organiser un plébiscite, ce à quoi les Ukrainiens s’opposaient. 

La question allemande a toujours eu pour moi une grande importance. La même que les affaires soviétiques. De là est né le projet de publier un numéro allemand de « Kultura », il n’est paru que dans les années quatre-vingts, mais j’y avais pensé bien avant. Pendant un certain temps, nous avions même eu un correspondant à Berlin en la personne de Jerzy Prądzynski qui y éditait un bulletin en allemand. Il était journaliste avant la guerre, j’avais fait sa connaissance à l’époque où il travaillait dans la rédaction de la « Pologne militaire », un type bien, style revolver, avec un beau passé dans le Deuxième corps d’armée. Il parlait parfaitement allemand et, quand il s’est trouvé sans aucun travail, il s’est tout de suite laissé convaincre bien que « Kultura » l’ait rémunéré très peu, comme nous tous. A cette époque, j’ai nourri à l’égard de l’Allemagne divers espoirs, mais pratiquement rien n’en a résulté. Mais Prądzynski a fait un bon travail. 

A une époque, j’entretenais de larges contacts en Allemagne. Mais j’y allais avant tout pour les affaires ukrainiennes. En Allemagne vivait un certain Stefan Kozłowski, le « major Aleksander », un homme très sympathique. Avant la guerre, il était spécialiste de l’industrie agricole et administrait des propriétés de Radziwill. Il était de droite, lié à la Brigade Świętokrzyska. C’étaient les Ukrainiens qui m’avaient parlé de lui. Kozłowski avait des relations militaires. Pendant la guerre, il avait été prisonnier dans un camp allemand. Un jour, on est venu soudain le retirer du camp, on l’a transporté à Dresden où, au cours d’une réunion avec des hauts gradés, on lui a proposé d’organiser une résistance antisoviétique en Pologne. Kozłowski a refusé.  Ses interlocuteurs étaient gentlemen au point de lui faciliter le passage par le front dans le camp américain où il a d’ailleurs retrouvé Smal-Stotski, un grand chercheur ukrainien, qui mourrait quasiment de faim, et Kozłowski s’est occupé de lui. C’était de ce moment que datait son amitié avec les Ukrainiens. Après la guerre, il a maintenu des contacts purement personnels avec ses anciens interlocuteurs allemands, peut-être leur fournissait-il ses opinions ou des informations, je n’en sais rien. J’ai fait chez lui leur connaissance. Mais cela s’est arrêté là. 

A Berlin et à Munich, vivaient de nombreux Ukrainiens, dont Lewicky et Osadczuk. Par la suite, quand je cherchais la bonne personne pour composer l’anthologie de la littérature contemporaine ukrainienne, j’ai demandé à Chevelov, historien reconnu de la littérature ukrainienne, de me recommander quelqu’un d’adéquat. Il m’a indiqué Lavrinenko qui s’est parfaitement acquitté de cette rédaction. Après la parution de l’ouvrage intitulé Rozstrzelane odrodzenie (La Renaissance fusillée), l’Académie ukrainienne des sciences a publié un livre qui entrait en controverse avec l’anthologie. Suivant la coutume soviétique, le livre polémique s’ouvrait par un compte-rendu détaillé du contenu du livre attaqué, ce qui aidait fort bien à sa diffusion. Au milieu des années 80, « Soutchasnist » a publié un autre tirage de La Renaissance fusillée sur un papier fin qui a été distribué en grande quantité en Ukraine. Ce livre a rempli un rôle assez important. Pour nous celui d’augmenter le nombre d’abonnés de « Kultura » parmi les Ukrainiens, notamment au Canada. Mais avant tout, cette anthologie a contribué à la formation, en Ukraine, du groupe poétique de renom nommé « chistdessatniki» (ou Renaissance fusillée, n.d.t.) 

En France, j’ai entretenu des contacts avec des Ukrainiens par Koubiïovitch qui, avant la guerre était enseignant à l’Université des Jagellon de Cracovie. J’avais fait sa connaissance dans des circonstances amusantes. Je revenais d’un congé, de Roumanie, et nous nous sommes rencontrés dans le train. A la frontière, il s’est avéré qu’en Bulgarie, au moment du change, on m’avait donné de faux levas. Il m’a alors aidé à la frontière bulgaro-roumaine, puis pour la deuxième fois au passage roumano-polonais. Une sympathique relation s’en est suivie. Durant l’occupation, Koubiïovitch était à la tête du Comité ukrainien de Cracovie où il s’est parfaitement comporté, puis il a joué un rôle de premier plan parmi les Ukrainiens de France, en qualité de président de l’Institut Chevtchenko de Sarcelles. Il a dirigé une impressionnante encyclopédie ukrainienne publiée en ukrainien et en anglais, en même temps. Grâce à lui, Sarcelles était devenu un important centre de la science ukrainienne. Et mes relations avec lui influaient fortement sur les rapports de « Kultura » avec les Ukrainiens. 

[1] Aron, Raymond, Koniec wieku ideologii, Instytut Literacki, 1956 (n.d.t.) 

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