RYSZARD KRYNICKI
Il y a des paroles
Il y a des paroles qui, gonflant dans la bouche
n'ont soif que de notre sang
Silence
Silence, chut, ips
le censeur est en train d'écrire
sur la liberté de parole
Il y a
Il y a des guerres mondiales non dévoilées
des pneumonies et infarctus sans symptômes
publiés dans Kultura n°366, 3/1978
A l'intérieur
Regarde, le vitrail brille de son vrai éclat
uniquement
à l'intérieur de l'église.
Le monde préfère
Le monde préfère les infirmités les plus simples:
la mécréance, le manque d'âme, le manque de cœur.
Soudain
Ma jeune fille, ma grande enseignante
qui pardonne généreusement mes fautes,
car elle sait déjà que même l'orthographe change,
m'appelle, triomphale, de sa chambre : les mantes religieuses dévorent leurs mâles uniquement en captivité humaine.
Tu es monté haut
Tu es monté haut, mon petit escargot
sur la plus haute feuille du sureau !
Mais souviens-toi : on est déjà fin septembre
publiés dans Kultura n°386, 11/1979
Je ne peux pas t'aider
Pauvre papillon de nuit, je ne peux pas t’aider,
je ne peux qu'éteindre la lumière.
En disant
En disant : comment pourrais-je militer
pour les droits de l'homme
j'ai femme et enfants?
Tu te condamnes toi-même à une peine
Que même les tortionnaires ne connaissent pas encore
Échelle de malheur
Il y a plusieurs échelles de malheur,
certaines ne commencent
qu'en dessous de zéro
Lutte des classes
Ce polar, je n'ai pas l'intention de le
lire jusqu'au bout.
Qu'est-ce que j'en ai à faire
de savoir qui me tuera.
Nombreux
Nombreux sont ceux tués
pour le bien des autres.
Vertige
Le pouvoir souffre de phobie des hauteurs :
il craint de descendre sur terre.
Même si
Même si vous anéantissez
tous nos témoignages
les veines muettes des arbres diront
à quelle époque nous vivons.
publiés dans Kultura n°387, 12/1979
Purgatorium
La nuit, dans le train vide. Je ne désire rien
je ne crains personne. Au loin, petites flammes
du purgatoire: de ma ville.
Comment écrire ?
Comment écrire pour qu'un affamé
pense que c'est du pain?
Il faut nourrir l’affamé,
écrire pour que la faim
ne soit pas gâchée.
***
Je ne sais pas si j'ai le droit
de parler ou de me taire
Je prie. Sans paroles. Lui, Il
Sait
/83
Victoire
A nouveau nous lisons des poèmes
du temps de notre l'exil, de la maison d'esclaves.
Voilà comment elle est, cette victoire d'outre-tombe.
Publié dans Kultura n°456 9/1985