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Józef Czapski et Jerzy Giedroyc lors du Congrès de la liberté de la culture. Berlin, juin 1950. / Sygn. FIL00472
© INSTYTUT LITERACKI

Jerzy Giedroyc : précurseur du dialogue polono-allemand d’après-guerre


BASIL KERSKI


La plupart des élites politiques et culturelles polonaises considèrent Jerzy Giedroyc comme un grand jardinier de la littérature polonaise et un précurseur de la réconciliation des Polonais avec leurs voisins orientaux. C’est dans « l’atelier expérimental » de Kultura qu’est né le concept de l’ULB. Le rédacteur lui-même, dans une lettre à Melchior Wańkowicz du 9 novembre 1951, comparait le travail de l’Institut Littéraire à celui d’un atelier de réflexion politique :

Je ne pense pas avoir les forces nécessaires pour créer un courant historique, écrivait-il. Ma seule ambition est de créer un atelier expérimental dans lequel on étudie, analyse, on tire des conclusions et on essaye de les appliquer. Je ne veux faire de Kultura ni une chapelle, ni formuler des thèses dogmatiques [1].

 

            L’importance du problème de la normalisation des relations polono-allemandes est souvent ignorée dans l’activité de Giedroyc, on ignore également à quel point le rédacteur s’intéressait au développement des pays allemands, à la culture allemande, aux relations de la République populaire de Pologne avec les deux Etats, à l’évolution de leur rapport après la réunification de l’Allemagne [2]. Ce qui prouve l’intensité de son intérêt pour cette problématique et l’originalité des questionnements sur les relations polono-allemandes, c’est notamment le dernier numéro de Kultura de septembre 2000 dans lequel nous trouvons un intéressant reportage d’Andrzej Stach, journaliste polonais habitant à Berlin, au sujet de l’Université Européenne Viadrina à Francfort-sur-l’Oder qui porte sur le projet éducatif entre la Pologne et l’Allemagne, dans la zone frontalière de ces deux pays [3]. Andrzej Stach cherche à répondre aux questions suivantes :  à quel point cette expérience a réussi ? comment les étudiants vivent-ils dans cette zone périphérique post-communiste, au bord de l’Allemagne et de la Pologne ? est-ce que cette université est un organisme vivant, ou un faux projet politique, qui n’a pas réussi son ancrage dans la ville de Francfort.

 

            Jerzy Giedroyc ne parlait pas allemand mais, dans le cercle de ses plus proches collaborateurs, on connaissait l’allemand, qui plus est, une partie d’entre eux - Józef Czapski, Konstanty Jeleński ou encore Juliusz Mieroszewski - était ancrée dans la culture germanophone. Point important, certains proches collaborateurs et auteurs de « Kultura », habitaient l’Allemagne. Dans ce contexte, je tiens à rappeler au moins deux auteurs ukrainiens : Bohdan Osadczuka et Borys Lewycki, architectes de la réconciliation polono-ukrainienne et connaisseurs reconnus en Allemagne du communisme et de l’Union Soviétique. Je rappellerai aussi le nom – oublié, me semble-t-il, malheureusement - de Tadeusz Nowakowski, une figure remarquable, un auteur polonais en émigration qui publiait également en langue allemande des articles dans les journaux les plus prestigieux et qui participait au légendaire groupe littéraire de Hans Werner Richter, « Gruppe 47 ». Émigrés en Allemagne, y vivaient également Józef Mackiewicz et Witold Wirpsza avec sa femme, Maria Kurecka, excellente traductrice de la littérature allemande, ainsi que son fils, Leszek Szaruga, poète et essayiste.

 

            J’aimerais cerner l’attitude de « Kultura » envers l’Allemagne et sa culture à l’aide des citations de Juliusz Mieroszewski et de Józef Mackiewicz. En 1961, peu avant la construction du mur, Juliusz Mieroszewski a publié en allemand un livre intitulé Kehrt Deutschland in den Osten zurück ? (L’Allemagne retourna-t-elle en Occident ?). C’est un recueil d’essais, élargi par l’auteur, portant sur des relations polono-allemandes. Ce livre comporte également des extraits autobiographiques dans lesquels Mieroszewski souligne ses racines galiciennes et rappelle qu’il a été élevé dans une maison germanophone. Dans un des extraits, très caractéristique, Mieroszewski avoue avoir connu les meilleures années de sa vie en tant que soldat et journaliste combattant contre l’Allemagne. Et il ne se battait pas pour détruire la nation allemande, mais en gardant à l’esprit une maxime de Clausewitz : « la guerre n’est qu’un outil pour réaliser certains objectifs », et il considérait que pour lui, « la réconciliation entre la Pologne et l’Allemagne est cet unique objectif » [4].

 

            Je voudrais également rappeler un autre essai sur « Kultura » où l’on s’efforce de rompre avec les traits dominants dans les rapports des Polonais aux Allemands, et l’on critique la structure de leur perception. J’ai ici à l’esprit l’essai de Jozef Mackiewicz, de 1956, « Le Complexe allemand » où l’auteur annonce : « je n’ai jamais été ce qu’on appelle “germanophile“(…) Je me défends moi-même de l’infantilisme des opinions qui me sont imposées »[5]. Mackiewicz écrit que l’on peut tout autant accuser les Allemands d’avoir accepté le régime nazi qu’aux Polonais de s’être pliés au système communiste. Les Polonais ne prennent pas en compte le désir des Allemands de l’Ouest de régler les comptes avec le passé, ils s’attachent au stéréotype d’une nation à jamais marquée par les crimes nazis. Une telle attitude conduit à l’isolement de la Pologne. L’image des Allemands est par conséquent rigide et empêche une pensée autonome. Ces mots critiques de Mackiewicz n’étaient pas dirigés seulement contre la République populaire de Pologne, mais destinés aussi à l’émigration.

 

            Le programme oriental de « Kultura » n’était pas séparé de la problématique allemande. Les réflexions de Giedroyc et Mieroszewski sur la normalisation des relations avec les voisins faisaient partie d’une réflexion plus large au sujet de l’ordre européen. Je reviens à nouveau à Juliusz Mieroszewski qui considère que le nouveau système européen ne peut être construit qu’avec les Allemands. Une organisation fédérale est une opportunité, pour les Allemands aussi. S’ils ne la saisissent pas, ils resteront ce qu’ils sont, à savoir - un Etat illustre mais petit qui peut certes emporter des succès politiques, mais perdra toutes les guerres : Seule une pleine entente polono-allemande fera revenir un équilibre politique et économique dans cette partie du continent et empêchera la Russie d’opposer l’un contre l’autre les deux pays majeurs de l’Europe centrale et de l’Est [6].

 

            Mieroszewski tenait également à expliquer aux Allemands pourquoi une nouvelle politique orientale et une meilleure relation avec les Polonais entraient dans leur intérêt : Ils devraient chercher la réconciliation avec les Polonais pour deux raisons : d’abord parce que l’entente polono-allemande est le b.a.-ba de chaque système non-soviétique en Europe occidentale ; et ensuite parce que le prix à payer pour une entente avec la Pologne est plus bas que celui de l’entente avec la Russie [7].

 

            L’intérêt pour la problématique allemande ainsi que la connexion entre la question allemande et l’orientale surgissent rapidement dans l’activité de l’Institut Littéraire, avant même la publication du premier numéro de « Kultura ». L’une de ces premières manifestations était le Journal de voyage en Autriche et Allemagne, de Jerzy Stempowski [8]. Le livre publié par l’Institut Littéraire en 1946, à Rome, est une œuvre exceptionnelle non seulement du fait de sa qualité littéraire, mais parce qu’il s’agit d’un ambitieux projet politique et éditorial. Essayons d’imaginer à quel point l’idée de Giedroyc était extraordinaire pour l’époque : en automne 1945, il envoie Stempowski habitant la Suisse et âgé alors de 52 ans, en qualité de correspondant indépendant, dans un périlleux et difficile voyage à travers les Alpes, vers l’Autriche et l’Allemagne du sud. Le but du voyage de Stempowski était de nouer des contacts avec les Ukrainiens émigrés qui se cachaient des Alliés de peur d’une déportation vers l’Union soviétique. Le deuxième objectif du voyage était de prendre connaissance de la situation humanitaire et politique de la région germanophone. Le journal de Stempowski est un fascinant reportage et un document complexe décrivant le sort des réfugiés, notamment ukrainiens, c’est aussi une analyse militaire approfondie de la politique d’après-guerre des Alliés envers les Allemands. On y trouve la première critique des raids aériens alliés sur les villes allemandes. Ayant pleinement conscience de la politique génocidaire envers les civils pratiquée pour la première fois par les Allemands, Stempowski considère la stratégie de bombardement de cibles civiles comme une destruction non justifiée de l’héritage culturel européen.

 

             Le journal de 1945 n’est pas l’unique reportage que Stempowski rédige, à la demande du rédacteur, sur l’Allemagne d’après-guerre. A la fin des années 40 et au cours des années 50. et 60., en tant qu’envoyé de l’Institut Littéraire, Stempowski a entreprit des voyages en Allemagne, publiant ensuite dans les colonnes de « Kultura » ses notes allemandes [9]. Ces écrits brossent un intéressant tableau de la vie intellectuelle allemande renaissante sur les ruines. Soutenu par Giedroyc, Stempowski cherche, en Allemagne, des alliés pour le milieu de « Kultura », il suit la piste des Allemands qui, avant 1945, étaient critiques envers le IIIe Reich, tel que l’éminent éditeur Peter Suhrkamp avec lequel Stempowski est entré en contact à Francfort-sur-le-Main.

 

            La participation de Jerzy Giedroyc et Jozef Czapski au Congrès pour la liberté de la culture, en juin 1950, dans Berlin ouest, était pour « Kultura » un événement de taille. Au cours de cette réunion d’intellectuels libéraux et anticommunistes, Giedroyc et Czapski ont non seulement fait la rencontre de Bohdan Osadczuka, mais aussi d’autres importants alliés tels que François Bondy et Eugen Kogon. Le social-démocrate allemand Eugen Kogon, rédacteur en chef du mensuel « Frankfurter Hefte », était après la guerre un des plus influents éditorialistes politiques. Cet ancien prisonnier de Sachsenhausen a publié sous le titre « Der SS-Staat » (« l’État SS ») le premier ouvrage monographique d’après-guerre au sujet des camps de concentration hitlériens. Cette étude du totalitarisme allemand est rééditée jusqu’à ce jour.

 

            François Bondy mérite une attention toute particulière. Issu d’une famille juive de Prague, essayiste suisse et polyglotte, il a été durant de longues décennies engagé dans la diffusion du travail des auteurs de « Kultura » en France, et dans les territoires germanophones. Il est également à relever que, en automne 1950, à Bruxelles, lors de la deuxième réunion du Congrès pour la liberté de la culture, Czapski et Giedroyc ont fait la connaissance de deux autres figures de la vie intellectuelle européennes, la philosophe Jeanne Hersch et l’auteur franco-allemand Manes Sperber, qui seront importants pour « Kultura » par la suite.

 

Je dois toutefois remarquer à regret que les noms des intellectuels européens, amis de « Kultura », que je viens de citer, sont peu connus par ma génération. Il n’en est pas moins que l’on ne peut actuellement écrire l’histoire intellectuelle de l’Allemagne d’après-guerre, de l’Europe de l’ouest d’après-guerre, sans connaitre l’œuvre de Sperber, Bondy ou encore Jeanne Hersch. J’ajouterai encore le nom de l’initiateur du Congrès pour la liberté de la culture, Melvin Lasky, rédacteur en chef des journaux « Encounter » et « Der Monat ». C’étaient des personnalités qui ont aidée à la promotion d’ouvrages d’auteurs polonais de renom, tels Bruno Schulz, Stanisław Ignacy Witkiewicz et Witold Gombrowicz. Bondy a également incité la journaliste berlinoise Lore Ditzen, fille du romancier Hans Fallady, à tourner en 1981 le premier film documentaire sur Czapski et « Kultura » [10]. Le film documentaire de 60 minutes a été réalisé sur demande de la télévision nationale d’Allemagne de l’Ouest Sender Freies Berlin. Aux côtés de Czapski et de Bondy s’exprimaient aussi Jerzy Giedroyc et Konstanty Jeleński.

 

            Des études sur l’histoire de « Kultura » avaient jusque-là pour point central l’analyse des premières décennies, notamment de la période d’intense collaboration entre le rédacteur et Juliusz Mieroszewski. Il me semble que les chercheurs sous-estiment le contenu du mensuel de la fin des années 80, et aussi de la période après que l’indépendance ait été retrouvée, après 1989. « Kultura » de cette époque suscite un intérêt bien moindre ; j’entends souvent l’opinion selon laquelle il n’y avait rien d’extraordinaire dans le mensuel « Kultura » de cette époque et dans l’activité de son rédacteur, et que l’influence de « Kultura » sur la pensée politique polonaise n’était pas très grande.

 

            Je ne suis pas d’accord avec de telles affirmations. La lecture du mensuel pendant la dernière décennie de son existence, montre que « Kultura » est restée une revue culturelle exceptionnelle, du plus haut niveau, mais aussi qu’elle est restée cet « atelier de pensée politique » qu’elle avait été – plus particulièrement pour ce qui touchait aux relations de la Pologne avec ses voisins. En voilà quelques exemples : en septembre 1994 est paru l’un des plus intéressants numéros de la décennie, sous la rédaction de Leszek Szaruga, un bloc de textes Les paysages perdus, dans la littérature allemande. À la demande du rédacteur, Szaruga a recueilli des essais, des textes en prose et de la poésie allemande portant sur l’héritage allemand perdu à l’Est, il présentait aussi les Allemands qui menaient la même réflexion que le cercle de « Kultura ». On pourrait appeler les auteurs de ce numéro « les Giedroyc allemands ». C’étaient des personnes qui, sans nier leurs attaches à l’Est, ont acceptés les frontières européennes d’après-guerre et la perte de leur terre familiale : Johannes Bobrowski, Horst Bienek, Marion comtesse Dönhoff, Christian von Krockow, Leoni Ossowski.

 

            Déjà dans les années 50, Giedroyc était persuadé que, notamment parmi les « expulsés », il trouverait de nombreux alliés. Il cherchait, parmi les réfugiés allemands, d’anciens citoyens de la République pluriethnique qui connaissaient le polonais. Comme il le rappelle dans ses entretiens avec Barbara Torunczyk, il a remarqué durant ses voyages en Allemagne, que les Allemands gardaient une grande affection pour les villes et régions perdues, mais qu’ils parlaient rarement de retour, notamment les jeunes [11]. Il ne craignait plus désormais le révisionnisme des Allemands de l’Est. Giedroyc a réussi à trouver de nombreux alliés et sympathisants, mais je ne suis pas certain que l’importance de son action dans la réconciliation polono-allemande ait été appréciée à sa juste valeur, à l’Ouest de l’Oder. Selon moi, même si les Allemands avaient une attitude positive envers la Pologne et les émigrés, pour la plupart ils n’étaient pas persuadés que l’activité de groupes polonais anticommunistes puisse participer concrètement à la chute du bloc soviétique, à l’élargissement de la zone de liberté en Europe et à la réunification de l’Allemagne. Aux yeux des Allemands, d’une part c’était la réconciliation avec la France qui restait le point clé, de l’autre le destin du pays divisé se décidant à Moscou. L’horizon politique de la plupart des élites politiques allemandes se limitait à ces deux points. Il est certain que l’on appréciait le geste des évêques polonais de 1965, on connaissait « Kultura » de Paris, on traduisait les documents du PPN, on publiait les essais de Jan Józef Lipski, on admirait le courage de Jean Paul II et on sympathisait avec Solidarność. Mais, avant la chute du mur de Berlin, a-t-on compris en République fédérale et dans les autres démocraties occidentales, l’importance pour le sort de l’Europe des idées et des initiatives de la presse d’opinion ? Il faut plutôt en douter.

 

            Jerzy Giedroyc se rendait parfaitement compte combien était difficile d’influencer le discours des pays voisins de la Pologne par ses initiatives indépendantes. En dépit de cela, il s’est efforcé jusqu’au bout d’intéresser les Allemands par les ouvrages de ses auteurs. Dans les années 90, il a cherché un contact avec des éditeurs allemands pour publier les essais russes de Mariusz Wilk. Il incitait ses auteurs habitant en Allemagne à publier la traduction allemande des journaux de Stempowski. Le rédacteur était persuadé que les Allemands devaient pouvoir lire les Esquisses à la plume d’Andrzej Bobkowski, le journal d’un émigré polonais dans un Paris sous occupation, qui différait tant des très populaires en Allemagne journaux parisiens d’Ernst Jünger du temps de la guerre.

 

            Le rédacteur regardait avec sympathie et attention la naissance d’initiatives culturelles polonaises indépendantes qui, sur les terres recouvrées, œuvraient à préserver l’héritage multiculturel. Parmi elles, la communauté culturelle « Borussia » qui a été créée par des historiens et des artistes d’Olsztyn. Le trimestriel du même nom a reçu, en 1996 – aux côtés de « Krasnogruda » de la région de Sejny (rédigé par Krzysztof Czyżewski) et le journal polono-allemand-tchèque « Ziemia Kłodzka » - une récompense spéciale de « Kultura ».

 

            Avec beaucoup de bienveillance et d’espoir, le rédacteur observait comment s’améliorait la perception des voisins en Pologne démocratique, sous l’influence d’initiatives sociales comme « Borussia » ou « Pogranicze » de Sejny. Il était tout de même persuadé que la société polonaise et surtout ses élites politiques ne s’étaient pas libérées de la pensée nationaliste d’endecja dans la politique étrangère. Ses craintes d’un retour éventuel à cette voie dans la politique étrangère se sont exprimées dans un de ses derniers textes manifestes, publiés en septembre 1998, sous le titre « La Pologne, l’Allemagne, et quoi ensuite ? » [12]. Il est intéressant de noter que Giedroyc a publié parallèlement le discours au sujet des difficiles relations entre Polonais, Allemands et Juifs que le président Aleksander Kwaśniewski a prononcé, à Berlin, lors de la remise au président allemand Roman Herzog du renommé prix Leo Beck[13]. Rappelons que Leo Beck était le chef de la communauté juive de Berlin sous le IIIe Reich.

 

            Dans son analyse des rapports polono-allemands, le rédacteur a soutenu que l’on n’avait jamais réussi à normaliser les relations entre Allemands et Polonais parce qu’on n’avait pas réussi à construire de relations normales entre les opinions publiques polonaise et allemande. Selon Giedroyc, l’Allemagne est toujours l’otage du « Bund der Vertriebenen » (L’Union des exilés) et de son point de vue sur la problématique des terres perdues ; quant aux Polonais, ceux-ci sont les otages de l’expérience de la guerre, mais également, et c’est le plus important, de la pensée nationaliste d’endecja. Bien que, a-t-il souligné, l’influence de la tradition nationale du côté polonais et du « Bund der Vertriebenen » du côté allemand ait diminué après 1989, elle peut redevenir importante et être à nouveau le point de référence des élites politiques dans les deux pays.

 

            Afin de réduire l’influence de ce dangereux héritage, Jerzy Giedroyc a formulé deux propositions. La première était d’intensifier le dialogue entre historiens pour étudier les conditions d’expulsion des Allemands de Pologne, et de publier un ouvrage à ce sujet. Comme au cours des dernières années, des projets de recherche concernant les expulsions ne manquaient pas, le savoir et l’état de recherches ne constituent pas le problème de nos jours, ce qui manque en revanche c’est leur utilisation par élites politiques ; et c’est pour cette raison que la deuxième proposition du rédacteur me semble - d’une perspective contemporaine – plus importante.

 

            Elle concernait « l’éducation de l’opinion publique polonaise ». Je présenterai donc cette pensée, qui n’a rien perdu en actualité mais au contraire a gagné en importance, en citant plus largement les propos du rédacteur :

Les discussions avec les expulsés ne sont qu’une partie du travail qui doit être menée en vue de normaliser les relations polono-allemandes. Cela doit être complété par l’éducation de l’opinion publique polonaise, par l’apprentissage qui leur permettra de ne plus voir dans les voisins de la Pologne - pas seulement les Allemands, mais également les Russes et les Ukrainiens – d’anciens et potentiels envahisseurs, mais de futurs alliés. Il y a vingt-cinq ans de cela, les évêques ont eu le courage de dire « nous pardonnons et demandons le pardon ». Pourquoi l’Église catholique ne mène-t-elle pas une lutte systématique contre la xénophobie qui est pourtant clairement contraire au commandement d’amour envers son prochain ? Pourquoi ne désapprend-t-elle pas, à ses fidèles, l’usage de la morale de Kali et n’explique-t-elle pas que s’ils demandent des droits pour les minorités polonaises en Russie, ils ne doivent pas refuser les mêmes droits aux minorités en Pologne ? Comment est-il possible que les politiques, qui se disent catholiques et proches de la nation, ne sont pas désavoués quand ils expriment des opinions qui, partout en Europe, sont considérées comme compromettantes et nous condamnent à l’ostracisme ?

 

            Normaliser nos rapports avec les Allemands et nos autres voisins n’est possible qu’à la condition de supprimer le nationalisme maladif de l’opinion polonaise. Et cela ne dépend que de nous-mêmes [14].

 

 

[1] Jerzy Giedroyc – Melchior Wańkowicz, Listy 1945-1963, Warszawa 2000, p. 226.

[2] Sur la problématiques des relations polono-allemandes, dans les pages de « Kultura », ont plus largement écrit Leszek Szaruga i Marian S. Wolański. Voir : Leszek Szaruga, Lekcja realizmu politycznego Kultury wobec „kwestii niemieckiej”, dans : Leszek Szaruga, Węzły polsko-niemieckie, Częstochowa 2000; Leszek Szaruga, Kultura i „przyszłe stosunki polsko-niemieckie”, dans: Leszek Szaruga, Węzły polsko-niemieckie (2), Częstochowa 2003; Marian S. Wolański, Środowiska emigracyjne w Londynie i Paryżu a kwestia stosunków polsko-niemieckich (1949-1972), Wrocław 1992.

[3] Andrzej Stach, Dalekie drogi zbliżenia – polscy i niemieccy studenci „Viadriny”, Kultura, n° 10, 2000.

[4] Juliusz Mieroszewski, Kehrt Deutschland in den Osten zurück ?, Berlin 1961, p. 8.

[5] Józef Mackiewicz, Niemiecki kompleks, Kultura, n° 1, 1956.

[6] Juliusz Mieroszewski, Metamorfozy polsko-niemieckie, Kultura, n° 10, 1955.

[7] Juliusz Mieroszewski, Metamorfozy polsko-niemieckie...

[8] Paweł Hostowiec [Jerzy Stempowski], Dziennik podróży do Austrii i Niemiec, Rzym, 1946.

[9] Le journal de voyage de Jerzy Stempowski publiés dans Kultura. Après la mort de l’auteur parait le volume d’essais de Hostowiec, sous le titre „Od Berdyczowa do Rzymu, « Bibliothèque de « Kultura », 1971. Les journaux de Stempowki ont été à nouveau publiés en 2001 par l’édition Czarne, sous la réd. d’Andrzej Stanislaw Kowalczyk ; des essais de Hostowiec Od Berdyczowa do Lafitów.

[10] Lore Ditzen, Das Zeugnis des Josef Czapski. Ein Pole im Pariser Exil, Berlin, SFB 1981.

[11] Barbara Toruńczyk, Rozmowy w Maisons-Laffitte, 1981, Warszawa 2006, s. 128.

[12] Redakcja [Jerzy Giedroyc], Polska, Niemcy, co dalej?, Kultura, nr 9, 1998.

[13] Berlińskie przemówienie Prezydenta RP, Kultura, n° 9, 1998.

[14] Dans son texte, Jerzy Giedroyc note une date erronée du discours des évêques. Le discours est paru déjà en 1965, et non au début des années 70.  Redakcja [Jerzy Giedroyc], Polska, Niemcy: co dalej?, Kultura, nr 9, 1998.

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