ANDRZEJ STANISŁAW KOWALCZYK
Le premier numéro de Kultura fut en même temps le dernier volume de l'Institut Littéraire publié en Italie. La décision de déménager à Paris avait déjà été prise. Rome se situait loin des principales trajectoires européennes que les Polonais empruntaient à l’époque, et n'avait pas la vocation de devenir leur foyer d’émigration. Toutes sortes de problèmes matériels y perduraient : la poste qui fonctionnait mal, les téléphones de même, et le trésor public qui changeait arbitrairement le montant des taxes. La ville elle-même était perçue comme provinciale. Le Parti communiste italien était alors florissant et influait sur l’ensemble de la vie publique[1]. Le déménagement à Paris fut décidé au début de 1947. Dans une lettre à Vincenz, Czapski en parle ainsi :
Au sujet de Giedroyc, son subordonné et notre ami Gustaw Herling-Grudziński écrit qu'il "travaille à la manière du gardien de chiourme qui, de son œil de biche", surveille ses esclaves, eh bien, ce "gardien" arrive ces jours-ci, et il est très probable qu'il quittera Rome pour Paris, en emportant avec lui tout l'Institut dans ses balluchons. Ce qui annonce des jours sombres pour mon propre travail puisqu’il y aura ici un tel rassemblement de tigres polonais de toutes les espèces que je crains que nous nous dévorions l’un l’autre, sinon, il en sortira peut-être une « Tribune des peuples », ce qui sera meilleur que de faire des pâtés dans un bac à sable[2].
Les textes à publier dans le suivant numéro de Kultura sont rassemblés encore à Rome mais imprimés, dans un nouveau format, à Paris déjà[3]. Dans son éditorial, la rédaction annonce viser trois mille abonnements, ce qui permettrait à la revue de se transformer en un mensuel. On y note aussi une baisse du nombre de lecteurs, due à la dégradation des conditions matérielles de vie des émigrés d’une part, et de l’autre à une « crise de confiance dans la presse écrite » causée par la « série ininterrompue de déceptions politiques » de ces dernières années. Dès le numéro suivant, le périodique devient en effet mensuel, la publication d’un trimestriel en émigration n’ayant pas de sens. Ce qui est important à noter dans cet éditorial, c’est l’annonce qu’il sera nécessaire de maintenir un dialogue entre les Polonais qui « vivent, créent et travaillent dans le pays, et nous, qui avons consciemment choisi l'émigration politique ». Scinder la culture polonaise en celle du pays et celle des émigrés conduirait à une impasse. Dans le périodique Odrodzenie (Renaissance) qui sortait au pays, dans un article consacré à la revue parisienne, on ne citait que des propos sur la chute du nombre de lecteurs et un appel à trois mille abonnements. L'auteur prédisait à Kultura et à la littérature des émigrés une mort rapide, puisque les écrivains réellement populaires étaient depuis longtemps revenus en Pologne, ceux qui s’étaient résolus de rester à l’étranger avaient soit cessé d’écrire, soit ils prenaient la plume rarement, et ceux qui écrivaient souvent « ne représentaient plus rien »[4]. En revanche, dans Dziś i Jutro (Aujourd’hui et demain), Dominik Horodyński remarque à propos de Kultura (après la parution de son numéro double) qu’elle est « sans doute le meilleur périodique de l'émigration d'après-guerre »[5].
Le journaliste de Odrodzenie avait ses raisons. La crise des institutions culturelles en exil était générale. L'argent, qu’on avait dilapidé ou volé, manquait, tout comme manquait l’intérêt pour la culture. Après la guerre, suite à la vente de l’immobilier de Londres qui appartenait au gouvernement polonais, ce dernier a distribué les fonds ainsi obtenus à quatre partis politiques, négligeant d'autres institutions, dont culturelles[6]. Zygmunt Nowakowski écrivait avec ironie qu'un émigré recevait plus facilement une aide ou un prêt pour acheter une machine à repriser des collants qu’un écrivain émigré pour l’acquisition d'une machine à écrire, bien que les deux constituent, semble-t-il, leur outil de travail. « Ne faisons pas de nous-mêmes de pires mendiants que nous ne sommes vraiment », s’exclamait le journaliste, et il proposait ensuite une taxe bénévole d'un shilling par an destinée au Fonds de la culture[7]. Peu après paraît un autre article sur le sujet, son ton est plus âpre encore. Tadeusz Nowakowski y parle de la crise de la lecture : sur 2 000 exemplaires disponibles d'un ouvrage, seule une trentaine est vendue, Wiadomości (Nouvelles) comptait à peine quelques centaines d'abonnés, Kultura, en Grande-Bretagne n’en avait que 200. Une trentaine de personnes fréquentent des pièces de théâtre alors que l’on estime le nombre de Polonais en Angleterre à 165 000, dont environ 30 000 pour la seule ville de Londres.
A quoi bon avoir nos propres revues polonaises indépendantes ? écrivait le journaliste avec ironie et amertume, « à quoi bon ces livres polonais, ou notre propre littérature ou art ? [...] Ne vaut-il pas mieux passer tranquillement, lentement, sans laisser de trace, d’empreinte, dans l’oubli, et vivre sans ambitions ni désir, ni parole, comme dans un petit village au bord de la rivière Kindula-Kilikubwa ? Et manger le pain quotidien en attendant le dernier jour de la vie [...] de sorte que les futurs archéologues apprennent plus tard que, de notre culture, nous n’avons laissé qu’un RIEN vide, énorme[8].
D’ailleurs, sur le plan politique aussi, l'émigration s’enfonçait dans une période très difficile. « L’Entente nationale » obtenue sous l'égide du Premier ministre Tomasz Arciszewski du gouvernement en exil, à la fin de 1944, n'a pas duré. En juin 1947, le président Władysław Raczkiewicz meurt. Sa succession disputée provoque un conflit, cette fois entre le Stronnictwo Narodowe (le Parti national) et le PPS (le Parti socialiste polonais) qui ne reconnaît pas le nouveau président August Zaleski. Fin juin 1947, le PPS, avec d'autres partis de gauche et du centre, crée Koncentracja demokratyczna (la Plateforme démocratique), en opposition au président et au gouvernement. Ce dernier n'obtient pas non plus le soutien de son parti ce qui remet en question l'importance du Conseil national tenu pour le parlement de l’émigration. Commence alors une longue série de conflits affectant la vie politique en exil. L'intransigeance rendant impossible les compromis, la propension à l’anarchie, le mépris des normes, l'effondrement de l'autorité des dirigeants et des partis, les luttes intestines et les intrigues ont rapidement discrédité l’idée même légitimiste, celle de maintenir un Etat en exil[9].
En juillet 1947, Zofia et Zygmunt Hertz ont commencé à organiser le déménagement à Paris où, depuis 1945, Czapski dirigeait le poste du 2e Corps de l’Armée polonaise et du ministère de l'Information. Giedroyc était parti pour Paris avant le déménagement. Les Anglais ont attribué à Hertz un wagon spécial qui allait accueillir le modeste bagage personnel de tous les trois et un stock de livres. Les Hertz sont arrivés à Paris le 13 octobre alors qu’une grève générale paralysait la ville. Leurs affaires étaient restées dans le wagon parqué sur une voie de garage, qui ne serait déchargé qu'à Maisons-Laffitte. Ils logeaient d’abord à l'hôtel Minerva, rue des Écoles, dans le Quartier latin, mais l'exiguïté du lieu rendait impossible tout travail. La chambre était si petite, racontait Zofia Hertz, que « Zygmunt s’allongeait sur le lit pour que je puisse ouvrir l’armoire. Impossible de taper à la machine, il n'y avait pas de place »[10]. Il n'était pas question de louer un appartement à Paris, encore moins d'acheter. La ville faisait une impression déprimante, surtout comparée à Rome qui s’était rapidement relevée après la guerre. « Pauvre et sombre ville », écrivait Zofia Hertz[11]. Des tickets rationnement étaient en vigueur et, à partir du 1er septembre, la ration quotidienne de pain s’est réduite à 200 grammes par personne[12].
La France traversait une crise sociale profonde. Le pays avait perdu sa position de superpuissance, l'empire colonial était menacé. La production économique n’était pas revenue à son niveau de 1939, la démographie était en baisse. L'aide américaine accordée dans le cadre du plan Marshall sauvait l'économie française de l'effondrement. Les communistes, qui avaient remporté un quart des voix, étaient devenus une force avec laquelle il fallait compter et, à partir de 1944, ils faisaient partie du gouvernement, mais, à la mi 1947, en raison des troubles et des perturbations qu’ils causaient, ils en ont été exclus. Ils avaient tenté, appuyés par une grève générale, de faire tomber le gouvernement. De profondes divisions sont apparues dans l'opinion publique qui se regroupait autour de camps politiques radicalement opposés. Le RPF du général de Gaulle a emporté les élections locales d'octobre 1947, mais les communistes ont réussi à recueillir près de 30% des voix.
Quelques mois plus tard, en février 1948, un coup d'État communiste en Tchécoslovaquie a mis fin à la première phase du processus d'intégration du bloc de l'Est, Staline contrôlant tous les pays que l'Occident lui avait cédés à Téhéran et à Yalta.
De nombreux intellectuels d'Europe occidentale étaient toujours attirés par l'idéologie communiste. S'ils n'étaient pas membre du parti, ils jugeaient son programme universel, croyaient en la nécessité de l'histoire, admiraient Staline. Raymond Aron note, en 1949 qu’il est grotesque et surprenant que la gauche européenne ait reconnu comme son dieu un bâtisseur de pyramides[13][14]. Le célèbre philosophe Merleau-Ponty, professeur du Collège de France, publie, en 1947, Humanisme et terreur, apologie de la politique soviétique, y compris du pacte Ribbentrop-Molotov, arguant que Staline utilisait la terreur pour défendre les idéaux humanistes[14]. Merleau-Ponty condamne l'impérialisme anglo-saxon et considère la critique de l’URSS comme acte belliciste. Le marxisme définit, selon lui, la condition humaine, exprime la vérité sur l'homme et sur le sens de l'histoire. Les intellectuels, sympathisants du communisme, n'hésitent pas à nier l'existence des camps de travaux forcés en Union soviétique. Après l'exécution des époux Rosenberg condamnés aux États-Unis pour espionnage au profit de l'Union soviétique, Jean-Paul Sartre écrit que l'approbation et l'indifférence des Américains face à cette sentence font de leur pays « le berceau d'un nouveau fascisme [...]. L'Amérique est un pays en colère. Coupons avec elle tous les liens, ou la rage nous aura aussi ».[15]
L'idée de la neutralité se répand en France, le Pacte atlantique est traité avec réticence. Les journalistes de gauche, pourtant non communistes, et les catholiques manifestent leur aversion des États-Unis au nom de l'identité européenne. Le rédacteur du Monde, Hubert Beuve-Méry, estime que les Américains représentent un danger plus grave pour la France que l'Allemagne ou l'Union soviétique[16]. L'éminent historien Lucien Febvre déplore l'agressivité des Américains, les Français étant obligés de s'opposer à leur brutalité dans les domaines de la science, de la culture et de l'éducation au cours des conférences de l'UNESCO. « Voilà maintenant trois ans que nous nous heurtons à une politique cohérente et systématique d'étouffement de notre langue et de nos idées »[17]. Nombreux sont à considérer le stalinisme et « l'impérialisme américain » aussi menaçants, tant l’un que l’autre pour l'Europe, il convient par conséquence de les affronter avec la même vigueur. En avril 1953, le catholique Esprit, par la plume de Jean-Marie Domenach, appelle l'Europe occidentale à lutter contre « l'hégémonie américaine et son supplétif allemand »[18].
Le climat politique et intellectuel en France, écrit Tony Judt, était tout aussi provincial qu’ailleurs en Europe ; grâce à l'afflux des émigrés, Paris est toutefois redevenu une ville cosmopolite, « le foyer européen naturel de l'intellectuel déshérité, un bureau d’information sur la pensée et sur la politique européenne contemporaine »[19].
Sans doute nécessaire, le départ de Rome est toutefois pour Giedroyc un pas vers l'inconnu, peut-être plus difficile encore que le moment où il quitte la Pologne en septembre 1939, ou quand il s’enrôle dans l'armée en 1941. Bien que les émigrés jouissent toujours du statut de militaire, la protection que leur procurait le 2e Corps de l’Armée polonaise n’existe plus. Les émigrés resserrent donc leurs rangs, les intellectuels rejoignent des institutions, forment des groupes, des textes sur « l'esprit de corps » des émigrés paraissent dans les périodiques, les invincibles en parlent, et parmi eux Tymon Terlecki, Stefania Zahorska, Zygmunt Nowakowski, Ryszard Piestrzyński et Zdzisław Stahl. Mais Giedroyc n’a pas du tout l’intention de publier une énième revue qui deviendrait un sanctuaire où officient des émigrés. Il n’a aucun intérêt pour le modèle traditionnaliste des périodiques polonais comme les Wiadomosci (Nouvelles, Londres), Orzeł Biały (L’Aigle blanc) dédié aux vétérans, Lwów i Wilno (Lvov et Vilnius) à caractère révisionniste, le catholique Życie (Vie), le Myśl Polska (Pensée polonaise) national ou le Za Wolność i Niepodległość (Pour la liberté et l'indépendance) reprenant la pensée du camp de Piłsudski. Il n'a pas l'intention de s'associer à l'élite londonienne, de promouvoir les opinions de la partie conservatrice de l’émigration, leur rhétorique l’agaçant par ailleurs.[20] En même temps, il n'est pas tenté non plus par le modeste rôle d'éditeur et de libraire, celui qu'a choisi Kazimierz Romanowski, le propriétaire de « Libella » de Paris, travail qui a aussi commencé sous les auspices du 2e Corps de l’Armée polonaise. En 1947, sur la scène publique de l’émigration polonaise, Giedroyc n'est personne et ne peut même pas prétendre à un quelconque poste dans le monde de l'édition et de la presse londonienne, toutes les places étant déjà pourvues.
Sa décision de devenir complètement indépendant est sans aucun doute facilitée par la présence et la loyauté de Zofia et Zygmunt Hertz, et de Czapski. Les relations françaises du peintre, ses talents et son charme en société se révèlent pour Giedroyc fort précieux, avant tout à la première époque parisienne[21]. Le Rédacteur connaissait mal le français, il le lisait mais ne le parlait pas, il ne lisait pas l'anglais ni l'allemand. Comment se serait-il débrouillé sans l’aide du couple polyglotte des Hertz ? Il n'avait aucune idée de la comptabilité ; la gestion d’une entreprise privée dans des conditions normales, et non celles de l’Italie occupée, était un véritable défi, sans parler de la fiscalité française, scrupuleuse et méfiante, de la nécessité de manoeuvrer dans le dédale des paragraphes du droit commercial et autres taxes ? Comment aurait-il fait sans l’aide de Zofia, capable de débrouiller tout cela sur-le-champ ? Puis les contacts avec les imprimeurs, la correction des épreuves, les abonnements, la correspondance, l'expédition de milliers d'exemplaires, des colis pesant des centaines de kilos ? Qui aurait accepté de travailler pour une bouchée de pain, si les Hertz ne l’avaient pas fait ? Il faut donc dire clairement que Giedroyc a pu se projeter dans l’avenir et bâtir ses campagnes uniquement grâce au travail désintéressé de ses quelques amis. Sans eux, le redémarrage de Kultura à Paris était impensable.
Ce groupe informel, basé sur des liens d'amitié, était un phénomène unique en exil. Les « invincibles », d'ailleurs pas seulement eux, adoptaient d'autres modèles d'organisation sociale : l’obéissance à la hiérarchie et l’esprit bureaucratique formel imprégnaient les sphères de « l’Etat » en exil (président, gouvernement), les partis politiques et les organisations d'anciens combattants. Mieroszewski vante par exemple l’objectivité et le bon sens de Lidia Ciołkosz et de Maria Danilewicz, mais il remarque que le marasme de la vie politique en exil est dû à l'antiféminisme de ses « ses chefs » :
Quel changement énergisant se produirait si, au sein du Conseil des trois [organe créé pour faire contrepoids au contesté président Zaleski], nos distingués et vénérables généraux prenaient leur retraite pour laisser place à mesdames Ciołkosz et Danilewicz. Je crains toutefois qu’il serait difficile de convaincre ces dames, elles ont justement trop de ... bon sens[22].
La communauté des émigrés polonais restait en effet dominée par des politiciens de la vieille école et des soldats démobilisés qui obéissaient toujours à la même discipline et veillaient au respect des mêmes règles. Les Polonaises actives en exil ne manquaient pas, mais l'émigré politique était un homme. Un tel patriarcat était impensable au sein de Kultura, les personnalités fortes et le pouvoir homme-femme étaient le moteur de cette entreprise.
Zofia Hertz a une vitalité infernale, écrivait Zbyszewski avec admiration, une sorte d'énergie inépuisable. Peut-être que, par miracle, Giedroyc aurait pu trouver quelque part une correctrice, une dactylo, une secrétaire, une administratrice doublée d’une cuisinière et d’une femme au foyer en une seule personne... Ce serait déjà miraculeux. Mais il n’aurait certainement pas trouvé cette sorte de pile électrique chargée d'initiative, parce que je ne pense pas qu'il y en ait une autre dans toute la Pologne.[23]
Czapski propose donc à l'équipe sans domicile de l'Institut littéraire la reprise du bail d'une villa à Maisons-Laffitte, une ville de plusieurs milliers d'habitants à l'époque, située non loin des bords de la Seine, à 30 km au nord-ouest de Paris. La ville présente de nombreux avantages : elle est suffisamment éloignée de la capitale pour décourager les visiteurs occasionnels, la liaison ferroviaire directe avec la gare Saint-Lazare permet toutefois de se rendre à Paris.
Dans les caves de la maison, qui a été habitée par les Allemands pendant l’occupation, le poste du 2e Corps de l'Armée polonaise installe, après la guerre, un entrepôt de nourriture provenant des stocks militaires et destiné à compléter les maigres tickets de rationnement qu’on distribuait à l’époque aux militaires polonais de Paris. Giedroyc et Hertz arrivent à Maisons-Laffitte le 31 octobre 1947. A ce moment, la maison s’avère moins accueillante qu’au premier abord : il faut la vider des encombrants, la ranger parce qu’il n'y a même pas de place pour dormir ou ranger des affaires.
La villa a été complètement dévastée par les Allemands, raconte Zofia Hertz, les encadrements des fenêtres et des portes ont été arrachés, il y avait de la saleté, les restes d'un feu dans le salon, une partie de la maison était en ruines.
Les nouveaux arrivants passent leur première nuit à s’aménager un minimum vital. Ils découvrent la maison peu à peu, au fur et à mesure que progresse le rangement ; ils ne verront la cuisine qu'au bout de quelques mois.[24]
Après l’installation à Maisons-Laffitte et la parution du deuxième numéro de Kultura, ils font le premier bilan. Impossible de compter sur un quelconque revenu, ils n’ont pas d'abonnés, les livres du stock ne se vendent pas, le mensuel est distribué gratuitement. Le capital initial provenait de la vente de l'imprimerie romaine[25]. Après avoir additionné les dépenses fixes, l'impression, le papier (acheté très cher au marché noir), le loyer, l'électricité, l'eau, etc., le salaire mensuel est fixé à 15 000 francs. Ce montant approche du salaire minimum en France. Dans les années suivantes, les salaires de l'Institut vont augmenter avec l'inflation, mais se situent toujours autour du salaire minimum.
Gustaw Herling n'a pas déménagé en France. Auparavant, tout indiquait que Herling allait s’établir en Italie puisqu'il s’était fiancé à Lidia Croce, fille du philosophe Benedetto, qu’il a rencontrée par l’intermédiaire de Józef Czapski. Pourtant quand arrive de Pologne la peintre Krystyna Domańska, Herling rompt les fiançailles et épouse cette dernière. Zygmunt Hertz est témoin du mariage, Zofia organise une fête de noce. Puis, en été 1947, Herling et sa femme partent pour Londres. Giedroyc lui propose de rejoindre sa rédaction en France, renouvelle son invitation à Maisons-Laffitte, il apprécie le talent du jeune auteur. Mais la France, plongée dans le chaos des mouvements sociaux, ne convient pas à Herling qui demande au rédacteur en chef une collaboration depuis Londres. Giedroyc l’accepte, offre à Herling le même salaire que reçoivent les autres membres de Kultura. L'écrivain demande de co-rédiger le périodique et pose comme condition la réception du contenu de chaque numéro à l’avance. Mais Giedroyc n'a pas l'intention de consulter le contenu avec un autre, et il refuse. Les relations sont rompues[26]. Après cela, Józef Czapski commente ainsi l’article de Herling paru dans Wiadomości, dans une lettre qu’il écrit à Stanisław Vincenz :
Les propos de Herling-Grudziński m'ont attristé [...] c'est un homme de valeur qui doit beaucoup à Giedroyc ; j’ai vu tant de fois Jerzy se mettre en quatre pour aider Gustaw, encore dans l'armée, pour faciliter son travail, obtenir un congé, publier un livre, etc... Il a rompu avec Jerzy (à cause du salaire !), et là, il écrit ce genre de choses.[27]
Une lettre de Zofia Hertz à Giedroyc, datant de septembre 1947, explique davantage les relations entre ces deux hommes à l’Institut littéraire, encore à Rome, et la séparation qui suit.
Je commence vraiment à regretter que, suivant l’exemple de tes autres collaborateurs, je n'aie pas choisi la ligne du moindre effort, au moins je n'aurai pas eu l’air d’une mégère et je dormirais tranquille. Eh bien, ce matin, Sznarbachowski m'a téléphoné pour m’annoncer qu'il avait reçu une lettre de Gustaw [...] Gustaw y écrit, entre autres, et je le cite : « De fait, Giedroyc et moi avons convenu que je m’installerai plus ou moins à Londres pendant les premiers mois et que nous éditerions Kultura sur l’axe Londres-Paris. Ensuite, quand j’obtiendrai un Travelling Document qui me permettrai de me retirer en Angleterre en cas de catastrophe, j’irai à Paris ». Je ne sais pas ce que tu penses de cette manière de voir les choses. De toute façon, je ne vais pas travailler pour des génies ou des poètes qui ignorent tout de la vie quotidienne, mais qui sont capables d’assurer si bien leurs arrières. Je ne sais pas si c’est dû au fait que tu as fait de Gustaw un gâté pourri, ce que nous t’avons fait remarquer bien des fois, ou parce qu’il a obtenu un bon petit poste à Londres, ou peut-être parce que, avec ta générosité innée, tu as promis de lui verser un salaire régulier à Londres jusqu'à ce que nous lui ayons installé un logis à Paris. Une fois nous tous éreintés, fatigués à force de courir partout, une fois que nous lui aurions trouvé l’opportunité de venir, avec les documents et l'argent pour le voyage en plus, notre cher Gustaw accepterait le déplacement. Mais je te préviens loyalement qu’il est révolu le temps où je portais la nourriture au petit Gustaw, que je partageais, obtenais des allocations pour sa femme, etc. – ces choses qu'il acceptait gentiment, sans ressentir la moindre nécessité d’un retour. Tu sais bien que je n'ai rien contre Gustaw, que je voulais que notre camarade écrivain vienne à Paris et reste avec nous, même s'il devait être pour nous un poids, mais quand le camarade se double d’un cynique, et pas seulement d’un paresseux - c'est un peu trop, même pour moi. Je me sens tout à fait dégoustavée [sic !] et j’ai envie de croire que tu as mis en place avec Gustaw une collaboration plus distanciée, c'est-à-dire que tu le paieras pour ce qu'il fait effectivement et non pour ce qu'il ne fait pas - comme maintenant. Tu peux trouver mes arguments étranges, mais je suis irritée et me sens totalement épuisée.
Et elle conclut par ces mots, comme toujours hauts en couleurs :
Sznarbachowski m’a complètement achevé. Après m'avoir lu les propos [...] de la lettre de Gustaw – quand j’ai exprimé mon étonnement concernant la position [de Gustaw] – il a répondu : "Je ne comprends pas pourquoi cela vous surprend, après tout il a une femme et doit penser à l'avenir ». Quant à moi, je suis apparemment une épouse monstre ou une vipère, ou quelque chose du genre, à moins que je ne sois un vulgaire âne bâté ou une bête de somme[28] [29].
Ainsi Giedroyc s'est-il heurté au veto de ses proches collaborateurs qui ne voulaient plus tolérer la position privilégiée de Herling dans l'équipe. Mais la décision de quitter l'Institut et de rester à Londres a été prise par l'écrivain lui-même.
Gustaw me surprend vraiment, écrit Zofia Hertz au Rédacteur, mais il ne faut jamais oublier « qu’un de perdu, dix de retrouvés ». S’il ne veut pas, tant pis. Il ne faut pas s’en faire[29].
Bien que Herling ait refusé de s’installer en France, le Rédacteur comptait toujours sur une collaboration future. Fin novembre 1947, il essaie d'obtenir, auprès du ministre Pragier, une subvention spéciale qui permettrait à Gustaw Herling de se consacrer à son travail littéraire et de participer à la rédaction de Kultura. Il souligne, dans sa demande, qu'il considère Herling comme « le plus grand et le plus prometteur des talents de la jeune génération d'émigrés »[30].
En juin 1949, Czapski dissout le poste parisien du 2e Corps au 174, rue de l'Université, et s'installe dans la maison de Kultura.[31] Sa sœur Maria Czapska, qui avait fui le Pologne en 1945, y a déjà trouvé refuge.
Le frère de Giedroyc, Henryk, rejoint l’équipe de Kultura en 1952. Après la guerre, il s'est installé à Londres et, pendant deux ans, il a tenté sans succès d'obtenir une bourse pour terminer ses études polytechniques commencées en Italie. Il a trouvé toutes sortes d’emplois. Le Rédacteur a essayé de l'aider, mais en vain. A bien des égards, Henryk était l'opposé de son frère, il était réservé et réfléchi, il ne s’engageait pas dans la politique, il avait aussi une vie privée. Un an plus tard, il a épousé l'Italienne Leda Pasquali (décédée en 2002). Ils habitaient Paris. Dans Kultura, il était en charge des questions administratives et des abonnements. Photographe de passion et de talent, il capturait les images du quotidien de la maison avenue Corneille. Il est mort en 2010.
Les collaborateurs de Kultura ont donc accepté une existence modeste et provisoire qui devait servir une grande cause, celle-ci s’avérait pourtant de plus en plus difficile à définir. Ils ont créé un foyer, ni une forteresse ni une redoute, encore moins un symbole, c’était un atelier de travail, une rédaction, une maison d'édition, un lieu de rencontres et de discussions à destination de ces Européens qui se préoccupaient du destin de l'Europe de l'Est. Comme la large majorité des émigrés, ils auraient pu choisir d’aménager leur propre existence, de participer à la grande reconstruction de l'Europe occidentale d’après-guerre, mais ils ont fait un autre choix, la sensation seule de confort et de possession n’étant pas suffisante pour les satisfaire[32].
Dans les mémoires et les lettres de Jerzy Giedroyc, la ville de Maisons-Laffitte n'est qu’un nom, un point de ralliement et de communication. Mais les amis et les auteurs de Kultura ont observé la ville de manière bien plus attentive.
Le déménagement de Rome à Maisons-Laffitte, écrit Jerzy Stempowski avec vingt ans de recul, prouve, semble-t-il, que Kultura est née sous une bonne étoile. Il existe probablement peu d'endroits aussi propices au travail de la pensée qui doit se poursuivre après une catastrophe historique. Dans cette petite ville, on voit clairement voisiner trois époques séparées par des années, où se sont produits des changements violents, semblables à des tremblements de terre. La continuité tout comme son absence frappent en ce lieu, de la même manière.
La première couche est constituée par le palais et le parc du XVIIIe siècle. Le palais a été construit par l'illustre Mansart pour le marquis de Longueil. Y séjourna Louis XIV, et Voltaire s’y soigna de la variole. Après la révolution, il fut acheté par le maréchal Lannes qui y accueillit Napoléon. Le banquier Jacques Laffitte le racheta, après la restauration. La bourgeoisie victorieuse conserva le palais mais détruisit le parc, l'une des plus belles expressions de la manie de la grandeur du XVIIe siècle. A la recherche des gains, Laffitte morcela une partie du parc, n’en préserva que les avenues principales. Les villas qui se dressent aujourd'hui au milieu des arbres ressemblent aux champignons qui poussent sur le tronc d'un chêne abattu [...].
La couche suivante se compose de cette partie de la ville qui fut construite par la petite bourgeoisie, avant-guerre. C'est un chaos de maisonnettes à deux étages, bâties avec parcimonie. Leur laideur attriste et surprend. Il n'existe aucun lien entre les beaux modèles du passé et le nouveau quartier. Ici, la continuité s’est rompue. Mais les jours de la petite bourgeoisie touchent aussi à leur fin. Dans plusieurs endroits, on construit des immeubles pour les nouveaux résidents qui ne prétendent pas posséder de petites maisons et un jardin miniature.
Devant ce défilé des siècles, l'émigré se pose forcément ses questions à lui. La vie à Varsovie ou à Cracovie a-elle subi des modifications aussi profondes ?[33]
Maisons-Laffitte abrite un célèbre hippodrome dont Kajetan Morawski parle avec humour :
Sous les grands arbres de Maisons-Laffitte se sont installées les écuries françaises parmi les plus importantes. Nous n'en possédons là-bas qu'un seul cheval, mais c'est une bien noble rosse, la revue Kultura, fondée à la suite de Polityka et de Bunt. Je souhaite à son rédacteur en chef de tenir fermement en selle et, comme autrefois, de ne regarder ni à droite ni à gauche, et sauter avec bravoure par-dessus les obstacles.[34]
Wacław Zbyszewski, dans son essai sur l’équipe de Kultura se lance aussi dans la description du climat de Maisons-Laffitte, et nous sommes en droit de supposer que l’ambiance y ressemblait, tout au moins durant le premier hiver que Giedroyc et les Hertz y ont passé :
Dehors, le froid perçant de décembre. A quatre heures déjà la nuit tombe, un vent glacé de l’Atlantique souffle, portant toujours cet arrière-goût de dégel qui approche et un soupçon de printemps. Dans les rues de Laffite courent des ombres, les gens règlent rapidement leurs dernières affaires de la journée avant d’aller se reposer [...]. En revenant de la ville [...], on longe une avenue bordée des villas de la bourgeoisie aisée de la « belle époque » ; mais les brèches dans les clôtures, leur bois écaillé, les sentiers laissés à l’abandon témoignent des bouleversements sociaux et économiques de ce turbulent XXe siècle. Puis il faut parcourir une espèce de bosquet, dans le noir, à tâtons, en se faufilant entre buissons, arbres, taillis et fossés ; et chaque fois que, après avoir quitté ces fourrés, j’arrivais au portail de " mon " Laffitte, je sentais un poids me tomber des épaules, et ma gorge se dénouer [...]. Dans l'allée de la maison chichement éclairée, mes pas devenaient plus vifs, joyeux ; et les aboiements de ce bon Black, un jeune chiot à l’époque [...] rajoutaient à la sensation de rejoindre son nid et foyer. Après la grisaille de décembre, même le froid hall d'entrée semblait douillet. Tout de suite à gauche, on pouvait même se laver dans l'eau glacée de la salle de bains en ruine.[35]
Zbyszewski se souviendra ainsi du premier siège de Kultura, avenue Corneille :
C’était une vieille ruine pourvue d’une tourelle, d’un balcon, une terrasse, une véranda vitrée, tout dans le mauvais goût du XIXe siècle qui, avec la patine du temps, avait acquis un charme romantique, celui de l’époque révolue. Tout autour, le vieux jardin à l’abandon avec son allée ombragée, les parterres et les pelouses envahis d’orties, les murs noircis, les larges ramures d’arbres, les buissons épais, l'ombre d’un bosquet, les plâtres qui s’écaillent et rappellent des manoirs de Pologne.[36]
La maison possédait en effet un vaste jardin de près de 7000 m2, resté à l’abandon mais très pittoresque. Il isolait, assurait le calme. Avec le temps, les habitants y ont aménagé un petit potager, quelques rangées de fraises. Un marronnier aux fleurs roses offrait son ombre pendant les après-midis d’été. Il y avait une table autour de laquelle on pouvait se réunir et boire du café[37].
Czesław Miłosz brosse une image similaire du quartier, de la maison et de la ville :
…la première maison de Kultura [...], un pavillon d'une grande laideur et de bien peu de confort, au milieu de ce froid hivernal d’une banlieue parisienne que de grosses chaudières remplies de charbon parvenaient à tempérer à peine, et ce quartier d'allées bordées de châtaigniers qui s'étendaient sur des kilomètres, des feuilles mortes en larges tas, tout cela avait quelque chose de Tver ou de Sarajevo au XIXe siècle[38].
L'impression de Jerzy Stempowski était tout autre ; la ville et la maison lui ont bien plu, et, en 1949, il a même envisagé de s'installer définitivement en France, mais il n'a probablement pas songé à habiter avenue Corneille, n’étant nullement fait pour une vie collective.
J'habite ici avec mes amis dans une vieille villa en partie en ruine, pourvue d’un parc abandonné avec de grands arbres", écrit-il à son père. C'est tellement beau ici que même Paris, à une demi-heure de train, ne m'attire pas. L'endroit est parfait pour y noircir le papier de sa plume [...]. Je voudrais passer ici tout l'été.[39]
Dans une des plus grandes pièces du rez-de-chaussée, à droite de l'entrée, on a installé une bibliothèque. Le contraste entre l'état de la maison et l'ordre parfait de la collection de livres était frappant. Zbyszewski le décrit ainsi :
La vue de ces livres méticuleusement rassemblés, numérotés, catalogués, dépoussiérés avec soin et disposés sur de longues étagères jusqu'au plafond - dans cette maison où il n'y avait aucun meuble, aucun chauffage, rien - faisait encore croître le sentiment de défi lancé au monde, à l'époque, à la vie, l’impression de l’absurde, et ce lieu en ressemblait d’autant plus à une maison enchantée.[40]
Parfois, on y faisait dormir des invités, dont Zbyszewski.
Recueilli par Giedroyc, j'habite cette bibliothèque, haute de deux étages : j’y dors sur un lit métallique de camp, sous des couvertures de l’armée ; au milieu se dresse un poêle antédiluvien, fumant, pourvu d’un long tuyau de fer blanc enveloppé de vieux journaux qui, tout en se tortillant et faisant du bruit, arrive jusqu’à la fenêtre pour évacuer à travers une vitre fissurée la fumée du poêle. Toutes les heures, dans les mains raidies de froid, je porte du bois de la cave et fourre de force dans ce poêle une bûche à la fois, [...] et quelle joie quand le feu finit par jaillir dans cette glaciale boîte en ferraille ! Après quoi, trois pulls, une petite veste sur le dos et une couverture sur les jambes, blotti au plus près du poêle, assis sur un tabouret branlant, je lis Proust ou Baudelaire.[41]
Le chauffage était donc le point faible de la maison :
C'était un cauchemar en hiver, raconte Zofia Hertz, il fallait porter des bûches dans des sceaux, couper du bois, enlever les cendres, au milieu de la poussière et de la saleté, avec des mains noires tout le temps ; il faisait trop chaud dans deux pièces, froid dans la troisième, et glacial dans le hall, la salle de bains et l’escalier. Ainsi, j’ai été grippée pendant huit hivers de suite.[42]
La maison comptait dix grandes pièces, toutes les fenêtres donnant sur des arbres. A côté de la bibliothèque, au rez-de-chaussée, Czapski avait son atelier ; la troisième pièce abritait un bureau. Les deux petites pièces de Giedroyc se trouvaient à l’entresol, le deuxième était occupé par Maria Czapska, les Hertz vivaient au dernier étage. Plusieurs autres chambres étaient destinées pour les hôtes qui affluaient volontiers dans la villa l'avenue Corneille. Les dix grandes pièces de la maison étaient parfaitement agencées. Mais c’est la cuisine qui était la plus importante, là où se réunissaient les invités et les habitants. Ses murs étaient carrelés de blanc, une table de bois recouverte d'une toile cirée occupait presque tout l'intérieur. On s’y asseyait pour préparer les repas, manger, mais aussi rédiger, faire des corrections et des comptes. Dans cette pièce se déroulait la vie sociale. « Depuis la cuisine, en parle Zbyszewski, on entendait Zofia appeler : « Dîner, à table ! ». J'aimais cette cuisine, elle était le coin le plus chaleureux de cette étrange maison ». La cuisine était le domaine de Zofia Hertz, les hommes se voyaient attribuer des fonctions auxiliaires, comme de faire la vaisselle. Mais que faire à manger ? À Rome, ils prenaient leurs repas dans des cantines et des restaurants ; la seule recette que Zofia a rapportée d'Italie était celle du café. Ils se sont donc mis d’accord que la soupe à la tomate conviendrait à tout le monde. Une fois les ingrédients réunis, Zofia mettait dans une casserole des légumes, de la viande, du riz et de l'eau, et elle faisait cuire le tout. Ça leur plaisait. Ils mangeaient donc cette soupe à la tomate jusqu'à ce qu’une personne plus compétente dans l’art de cuisiner n’arrive avenue Corneille et qu’elle n’éclaire ces profanes. Ils arrosaient les repas de vin rouge.[43]
Les habitants de la maison se réunissaient dans la cuisine deux fois par jour pour prendre leur repas, et après, ils lisaient le courrier, commentaient les événements en cours. C'est là, se souvient Zbyszewski, que l'on planifiait les numéros de Kultura, que l'on évaluait le nombre d’abonnés, que l'on lançait des projets, parlait des connaissances et du passé.
Au bout de la table, face à l'unique fenêtre s’asseyait Jerzy Giedroyc, qui n’avait plus rien d’un jeune homme prometteur, d’un enfant génial, c’était un homme d’âge mûr, aux cheveux prématurément blanchis, à l’air solennel et digne de patriarche, concentré, souriant rarement, qui arborait une expression peinée, fataliste. Je me souviens que, par moments, il fronçait les sourcils et, après avoir lu un bout de papier, il grimaçait comme pris d’une douleur et susurrait entre les dents : « après cette augmentation du prix de papier, je ne sais vraiment plus si nous pourrons publier le prochain numéro. Un silence de plomb s’abattait alors sur la bien modeste cuisine, jusqu'à ce que Zygmunt Hertz coupe court à cette ambiance apocalyptique avec une bonne vieille blague varsovienne. Et elle faisait son effet, l’ambiance s’améliorait, on se mettait à papoter, comme quoi un tel était un idiot, un autre le défendait, et la vie reprenait ses droits : il arrivait même que Giedroyc abandonne sa triste mine et sourit.[44]
La décision de poursuivre les activités de l'Institut littéraire et de s'installer ensemble à Maisons-Laffitte a eu des conséquences importantes sur la vie des habitants. Les Hertz ont dû se décider à avoir des enfants ou de ne pas en avoir. En 1947, Zofia Hertz avait 36 ans, Zygmunt 39. Zofia se souvient que la décision négative s'est imposée comme une évidence : C'était complètement hors de question... C'était tellement étrange, cette guerre, tout ça ». Ils ne possédaient rien, ne faisaient pas de projet, le travail les a absorbés.[45]
Sans l'Institut littéraire, les Hertz auraient facilement trouvé du travail et reconstruit une vie tout à fait correcte. Pour Giedroyc, l'Institut était le seul moyen de se sortir de l'impasse de l'après-guerre. Il n'avait pas de métier qui lui permettrait de vivre à l'étranger, ne connaissait aucune autre langue que le russe et n'avait pas de don linguistique (après 50 ans passés en France, il ne faisait que lire le français). Il ne pouvait fonctionner que parmi les émigrés polonais, mais il n’aurait jamais pu s’adapter au conformisme exigé par ce milieu. En dehors de son frère, des Hertz et de Czapski, il n'avait personne sur qui s’appuyer. Mais Henryk avait lui-même besoin de son aide, Czapski avait sa propre mission à laquelle il ne voulait pas renoncer, il devait de plus s’occuper de sa sœur Maria.
Giedroyc et Czapski, célibataires, disposaient d’un logement et d’un travail à Maisons-Laffitte, écartant ainsi le vide et la solitude. En 1956, dans une lettre adressée à Wacław Zbyszewski, l'éditeur évoque les raisons de son addiction au travail. A son ami, qui avoue avec amertume avoir été une fois de plus repoussé par l’élue de son cœur, il écrit que ses tentatives matrimoniales sont plutôt une façon de fuir la réalité.
J'écris cela avec d'autant plus d’assurance que nous sommes tous deux dans la même situation : la peur de la solitude (des déceptions en plus) qui s'aggrave avec l'âge, et aussi la peur des responsabilités. Tout comme moi, tu ne te crois pas capable d'assumer la responsabilité de quelqu'un d’autre, d'autant plus que nous nous assumons difficilement nous-mêmes. Moi, je m’assomme avec Kultura, avec tout ce moulin et, toi, tu dis être malheureux en amour.
Le rédacteur lui proposait trois solutions : se marier (« après tout, ce ne sont pas les candidates à l'épouse qui manquent »), se suicider ou trouver un but « suffisamment décent » dans la vie.
Je me sens personnellement trop lâche, admet-il, pour choisir l'une des deux premières solutions et j'essaie de combler le vide avec la solution n° 3. Elle n’est pas idéale, mais elle m'aide à vivre. Ma santé n'est pas très forte non plus, et si je ne me retenais pas, j'aurais des raisons pour paniquer ou devenir hystérique. Mais ça servirait à quoi ? [46]
Avenue Corneille, on a fini par répartir les tâches, pourtant tout le monde participait à tout à la fois, à commencer par la correction des épreuves et le ménage, et passant par les courses et la vaisselle après les repas.
Ceux qui prennent entre leurs mains les exemplaires de Kultura et les livres publiés par l'Institut littéraire [...] devraient, écrit Miłosz, penser un instant aux casseroles de cuisine, à la préparation du déjeuner et du dîner, tout ça fait par les trois ou quatre mêmes personnes chargées de la rédaction, de la correction et de l'expédition.[47]
Chaque mois, il fallait poster plusieurs milliers d’exemplaires de revues et de livres. Zbyszewski s’en souvient en ces termes :
Des journées entières, Zygmunt tirait, comme un pousse-pousse, une brouette remplie à ras bord de sacs de livres. Parfois, j'essayais de l'aider, mais j'abandonnais vite : le mauvais état de mon cœur était l'excuse parfaite pour échapper à cette épouvantable corvée.[48]
Le rôle de Giedroyc a échappé à l’attention de Zbyszewski. Peu enclin à la confession, le Rédacteur s'est senti pourtant obligé de décrire sa situation dans une lettre :
Je reconnais avoir été parfois très désagréable avec toi, et peut-être le ton de mes lettres n'est pas bon non plus [...] Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, ma santé qui me préoccupe depuis un certain temps. Je suis simplement surmené, surchargé de travail, des nerfs à vif, j’ai bien des problèmes et des ennuis personnels. Ce n'est pas seulement à cause de mon emploi du temps défaillant, mais comprends-moi, même avec ma vitalité, on ne peut tenir tout, des années durant. Kultura est une machinerie qui a l'air de bien fonctionner, mais il faut une abnégation totale pour la faire tourner. Je dois me lever le premier, me coucher le dernier, faire la vaisselle ou porter des colis, sinon tout s'écroulera. J’exploite Zofia et Zygmunt d'une manière inhumaine, tout en leur faisant constamment savoir (inconsciemment, bien sûr) que je travaille plus qu'eux et que je ne les traite pas comme mes subalternes. Aujourd'hui, avec cette accumulation de l’administration, j'écris tout moi-même, soit entre 10 à 16 lettres par jour, ajoute à cela un casse-tête financier pour que les choses tournent plus ou moins, sans tomber dans des dettes qui seraient au-delà de mes capacités de remboursement, en cas de crises ou de crash, etc. Pour réfléchir, lire, rédiger, il ne me reste que des instants épars.[49]
En mars 1948, les membres de l'Institut littéraire sont démobilisés à Calais. Ils ont retardé ce moment aussi longtemps que possible, quitter l'armée signifiait perdre leurs soldes et rations.
Juliusz Mieroszewski lui aussi commence une vie autonome à Londres après avoir quitté l’armée. Il trouve divers emplois. Pendant plusieurs mois, il travaille comme aide cuisinier dans un restaurant polonais d'Oxford Street. Il savait faire la cuisine presque aussi bien qu'écrire, ses tomates farcies étaient très appréciées. Puis il a appris la tapisserie et s’est mis à fabriquer divans, canapés, fauteuils. Ces occupations étaient pourtant aussi fatigantes que peu rentables. Un an et demi plus tard, il reprend la plume, écrit en polonais et en anglais, passe du journalisme à la fiction. Il publie dans des magazines anglais, les polonais « Orzel Bialy» (Aigle Blanc) et le « Wiadomości » (Nouvelles).[50]
Durant la première année en France, Kultura est distribuée gratuitement aux Polonais, Ukrainiens et Juifs sur divers continents. Le nom de Giedroyc était peu connu, même de l'intelligentsia, aucune institution d’émigrés ne soutenait la revue non plus. Des amis comme Wańkowicz, Vincenz et Janta-Połczyński ont capté quelques abonnés, mais le processus était lent. Le capital que l'équipe de l'Institut littéraire a rapporté de Rome ne pouvait suffire que pour deux ans de fonctionnement. Giedroyc espérait que la revue deviendrait financièrement autonome en quelques années, il était résolu à maintenir sa totale indépendance tant financière que politique. Cela devait être facilité par une réduction des dépenses, le travail qu’effectuait l’équipe de la revue contre une rémunération modeste, et la vie en collectivité. Ainsi est née cette forme que Miłosz appelait un phalanstère, et Andrzej Mencwel, plus exactement, une coopérative autosuffisante. Il s'agissait en effet d'une société coopérative. Cette forme de revue avait sa tradition en Pologne. Au début du XXe siècle, l'hebdomadaire socialiste Ogniwo (Chaînon) est publié à Varsovie, sous la direction de Stanisław Stempowski, Ludwik Krzywicki et Stanisław Posner. Les fondateurs déclarent vouloir que leur périodique « appartienne à lui-même, c'est-à-dire à ceux qui y travaillent (Pas de propriétaire ! « Ni dieu, ni maître ! »), et qu’on l’imprime avec l’argent des abonnés.[51]
La nouvelle revue de Giedroyc commence dans un contexte nouveau. Ses précédentes revues Bunt Młodych (La Révolte des jeunes) et Polityka se trouvaient au centre de la vie politique de l'entre-deux-guerres, et, pleines d’optimisme, elles étaient fortes de la foi en l’énergie spirituelle et matérielle de la communauté nationale dont le destin était de devenir une puissance, la Pologne étant appelée à jouer son rôle sur la scène européenne, et indirectement mondiale. Mais, après la guerre, Giedroyc ne cache pas son pessimisme : Les Polonais in gremio ne font pas preuve de capacités sociales particulières et, qui plus est, une sorte de fatalisme immature les accable, ils sont une piètre nation. Début 1949, Józef Wittlin s'étonne de trouver dans Kultura des articles de Ferdynand Goetel et de Jerzy Pietrkiewicz, le premier ayant été un fasciste déclaré avant la guerre, le second nationaliste et antisémite qui attaquait férocement les écrivains polonais d'origine juive.[52] En réponse à Wittlin, le Rédacteur justifie sa décision par le fait que les opinions des deux auteurs ont radicalement changé, et il souligne sa distance par rapport à la foule nationale :
Durant des années, avant la guerre, j'ai publié et édité une certaine revue qui se nommait Bunt Młodych, et plus tard Polityka. J'y ai lutté, assez solitaire et sans succès, pour toute une série de choses que nous considérions, mes amis et moi, comme fondamentales. J'ai chèrement payé ce vain combat. Pendant les premières années de la guerre, j'ai ressenti douloureusement, sur ma propre peau, l’effet des tactiques des anciens services secrets et autre Kot. Les Polonais sont de fait une terrible nation. Quelle est alors une bonne solution ? Soit on la déteste et on s’en éloigne complètement, soit on essaie de se battre pour la rendre différente, tout en acceptant le désespoir d’un tel combat. J'ai choisi cette dernière option. Elle exige toutefois qu’on ait bien d'indulgence envers les gens. Ce n'est pas du pessimisme. S'il existe un groupe de personnes comme Stempowski, Vincenz, Bobkowski, Florczak, Czapski, alors je crois que ce combat a un sens et que Kultura est utile. C'est pourquoi j'aimerais que vous vous joigniez à nous et que vous nous aidiez dans ce dur travail.[53]
Le programme d'avant-guerre de Giedroyc faisait appel au collectif et promettait de transformer une nation démoralisée par la soumission en une nation puissante, capable d'un essor politique. L'outil de cette métamorphose devait être l'État polonais, un mécanisme précis et efficace au service du bien commun de tous les citoyens, indépendamment de leur nationalité, religion ou opinions. En 1949, le Rédacteur ne croit plus qu'aux efforts d'une élite qui, pleinement consciente du "désespoir de son combat" contre la stupidité et la déchéance, entreprend une nouvelle tentative d’influer sur le moral de la nation.[54] Une opinion tout aussi critique à propos des Polonais est exprimée dans « Margrabia Wielopolski » de Ksawery Pruszyński, l’ouvrage publié à Londres, en 1944. Pruszyński se sert de l'histoire de Wielopolski, un grand homme politique, pour justifier le pari de l’alliance de la Pologne avec l'Union soviétique, tandis que Giedroyc place ses espoirs dans l'Ouest, tous deux considérant toutefois les Polonais comme une communauté immature, ayant besoin d'être éduquée par une élite éclairée. Cette constatation conduit Pruszyński à nier le sens de l'émigration, à rejoindre le régime communiste de Pologne.
En 1948, alors qu’il entame une nouvelle étape, Giedroyc rejette la tactique propagandiste qui vise à forcer un concept, un ensemble précis d’opinions. Lui-même n'en avait pas.
C'est pourquoi, écrit-il, j'essaie d’éclairer les sujets de la manière la plus complète possible. En ce qui concerne le pays, il y a toujours à craindre que nous ne devenions comme l'émigration française après la Révolution, qui, suivant les vieilles ritournelles, n’avait pas su gouverner, même si la chance de revenir au pays et de prendre le pouvoir leur avait souri [...]. Comme je ne suis pas en mesure d'agir, je veux comprendre et savoir ce qui se passe en Pologne et quelles évolutions s'y produisent. Je le fais d'autant plus résolument, en public que Kultura n'est pas une revue pour les masses, ses lecteurs sont issus exclusivement de l’intelligentsia [...]. J’ai un grand respect pour l'opinion publique dans le pays. Kultura, malgré toutes ses inégalités [...] y a acquis sa position […] Ce que je veux c'est que sa position soit autonome, que personne ne la cautionne, et dont la responsabilité m’incombe à moi, et non à un quelconque dirigeant.
En mars 1949, dans une lettre à Melchior Wańkowicz, Giedroyc souligne que Kultura, à la différence de Londres, s'attachera à formuler « une position positive sur toute une série de questions importantes que, lâchement, personne n’aborde. Comme la question allemande, l'attitude envers le peuple russe, la fédération européenne, etc. »
Les observations et les événements de l'après-guerre ont convaincu Giedroyc que le Londres polonais était condamné à la dégénérescence politique. Ces émigrés ne faisaient pas partie de la nation qui est indivisible. Le milieu, qui aspirait à jouer un rôle politique, devait se séparer forcément du reste de l'émigration dont le principal objectif de celle-ci était la promotion sociale, l’abandon du statut de paria et d’étranger. Les émigrés, dans leur majorité, aspiraient donc à s’assimiler et quitter le milieu national, ce qui récusait les idéaux que proclamait l'élite politique.[55] Mais celle-ci n’était pas en mesure de s'occuper du pays, toute leur énergie se focalisant sur leurs propres enjeux internes. Dans ce milieu, des affaires mineures prenaient de l’importance alors que des phénomènes importants disparaissaient de la vue des joueurs. Absorbés par leurs manœuvres et intrigues, ils ne savaient plus se distancier de leur rôle et perdaient le sens de la mesure[56]. Les formes s'autonomisaient, les articles de la loi devenaient des incantations, l'abstraction masquait les faits réels. Sur la scène londonienne, comme l'a formulé Stanislaw Zarzewski, régnait « le climat des fausses valeurs »[57].
[1] Lors des élections de 1946, le PC italien a obtenu 4 350 000 voix (19%), et en 1953 : 6 120 000. La vie intellectuelle dans l'Italie d'après-guerre, écrit T. Judt, était hautement politisée et étroitement liée à l’idéologie communiste [...] Les Italiens semblaient osciller entre le cléricalisme politisé [...] et le marxisme politique (Postwar. Une histoire de l'Europe depuis 1945. Poznan 2013, Rebis, p. 249 de l’éd. polon).
[2] Lettre de Józef Czapski à Stanisław Vincenz du 25 mars 1947 (Ossolineum, Section des manuscrits, II 17 618). Czapski a prédit avec précision son propre avenir artistique, à savoir qu'il reviendrait au « travail individuel », c'est-à-dire à la peinture, dix ans plus tard.
[3] Le numéro double 2/3 est paru en novembre 1947, sans noms : « Kultura. Édité par le comité de rédaction. Adresse : Librairie Libella, 12, Rue St. Louis en l'Ile. Le rédacteur en chef reçoit sur rendez-vous. » Le nom de Giedroyc n’apparaît que dans le numéro suivant (1948, n° 4).
[4] Kultura ? Kultura ?, dans Odrodzenie, 1948, n° 11. Le lecteur a eu l'occasion de comparer le tirage des deux périodiques ; en mars/avril, le tirage d'Odrodzenie est passé de 30 mille à 40 milles exemplaires. Même si le tirage était deux fois trop nombreux pour son public, il restait toutefois impressionnant. Le Wiadomosci literackie (Nouvelles littéraires) d'avant-guerre a atteint 12 mille exemplaires au moment de son plus grand succès.
[5] dh [Dominik Horodyński], « Une bonne revue d’émigration ». Dans Dziś i Jutro, 1948, n° 3.
[6] Le général Anders disposait d'importantes sommes d'argent après la guerre. Il a par exemple octroyé deux mille livres à l'Association des écrivains polonais en 1947. Il a remis bien plus au gouvernement de Londres ; l'ambassade de Londres auprès du Saint-Siège a reçu 16 mille dollars (A. Zaćmiński, Emigracja polska w Wielkiej Brytanii wobec możliwości wybuchu III wojny światowej 1945-1954. Bydgoszcz 2003, Ed. Akademia Bydgoska im. Kazimierza Wielkiego, p. 25, note 31.
[7] Z. Nowakowski, „Clamor”, czyli „krzyk”. Wiadomości 1949, nr 149.
[8] Nowakowski, T., « Mauvaise nouvelle à propos de Wiadomości. Feuilleton pessimiste », Wiadomości. 1949, n° 12/13. En 1950, l'hebdomadaire Lwów i Wilno, fondé par St. Mackiewicz en 1946, a cessé de paraître. Zbyszewski a écrit que le périodique ne pouvait être publié sans le soutien financier et qu'un tirage de 5 000 exemplaires aurait assuré son autonomie. Le niveau des textes était toutefois inégal : Il faut avouer que, sur cet océan d'ennui, les articles de St. Mackiewicz frappaient toujours par une vigueur juvénile, un style comme un feu de joie, tout comme sa réflexion et ses paradoxes. Disons aussi qu'il lui a fallu beaucoup de caractère et de créativité pour maintenir tout seul la revue, pour assurer seul sa popularité et son lectorat, pour surmonter l’animosité naturelle du public pour les raseurs prolixes que Mackiewicz laissait par mégarde entrer dans ses colonnes [...] (W.A.Z., Lwów i Wilno, Kultura 1950, n° 12/38, p. 106).
[9] Zygmunt Nowakowski commente amèrement l'effondrement de l'autorité des dirigeants politiques : On discute depuis longtemps la refonte de la République [...] Nous avons tout remis entre les mains de professionnels pour qui leur propre parti est synonyme de patrie privée et idéologique. Depuis un an environ, ils ne parviennent pas à s'entendre, ni même à trouver une quelconque formulation commune. Ils boudent comme des enfants mal élevés. N'y a-t-il pas une seule personne sérieuse parmi ces hommes de métier ? Peut-on croire que, dans ces marchandages désespérés et sans issue, on se soucie encore quelque peu de la soi-disant patrie ? Ces personnes, qui se battent pour des portefeuilles fictifs, se rendent-elles compte de l'état des esprits dans les camps, hostels, ou autres logis où personne ne pense plus au gouvernement, personne n'est au courant de ce qu’il fait ? Plus on tarde à trouver un accord entre nos quatre personnages sans importance qui ne font que courir après leur portefeuille, plus il sera difficile de rassembler des gens dispersés qui ne cherchent que du pain quotidien [...]. Les partis sont une imposture à laquelle nous avons consenti avec douleur, en acceptant tout, même l’usage de ce passe-partout, et non pas une clé, qui a ouvert la voie à des inconnus sans envergure, ces nouveaux riches en politique. « Ce dont on ne parle pas ». Wiadomości 1948, n° 38. D’après : Zaćmiński, Emigracja polska w Wielkiej Brytanii wobec możliwości wybuchu III wojny światowej 1945-1954. Bydgoszcz 2003, Ed. Akademia Bydgoska im. Kazimierza Wielkiego, p. 223.
[10] „Redaktor i róże. Rozmowa Renaty Gorczyńskiej z Zofią Hertz i Jerzym Giedroyciem”. Dans : R. Gorczyńska, Portrety paryskie. Wydawnictwo Literackie. Kraków 1999, p. 38.
[11] Les magasins sont vides, comme dévalisés, note Wacław Zbyszewski dans ses impressions parisiennes de l'été 1947. Et semblent minuscules après les géants de Londres. Les vitrines de la rue Royale sont éblouissantes, mais, dans les rues latérales, les étals frappent par leur pauvreté et la pénurie [...] Ici c’est le boucher qui regarde tristement quelques morceaux d’os, là le boulanger arrange ses pains au son. Des choux et deux oignons voisinent sur la longue étagère du maraîcher. L’épicier se tient devant les étagères vides. Derrière le comptoir du café, le garçon propose de la bière diluée, il n’y a pas de vin, pas de beurre ni de vrai café, ni de sandwichs, pas de pain ni croissants, ni brioches, ni biscottes. Pas de cigarettes non plus [...] En France, on peut acheter le superflu, mais pas le « nécessaires ». (W.A. Zbyszewski, « Lettres de voyage », Paris, Wiadomości 1947, n° 27). La situation n’était pas meilleure à Londres. Mieroszewski a écrit qu'il avait fait une longue queue devant un magasin pour acheter une ration hebdomadaire de bacon (J. Mieroszewski, « Żyjemy w ustroju przejściowym » Orzeł Biały 1947, n° 45).
[12] Bobkowski Andrzej, Douce France, Journal, été 40. Paris 2015, Phoebus.
[13] Cité d’après T. Judt, La responsabilité des intellectuels. Blum, Camus, Aron. Editions polonaise : Krytyka Polityczna, Warszawa 2013, p. 203.
[14] George Orwell, avec ses critiques et son honnêteté, était l'une des exceptions : On comparait souvent le sadisme et le fascisme, écrit-il, mais ces comparaisons ont presque toujours été faites par des gens qui ne voient rien d'offensant dans l'idolâtrie la plus servile de Staline. En fait, les nombreux intellectuels anglais qui lèchent le cul de Staline ne différent pas de ceux, moins nombreux, qui ont rendu hommage à Hitler et à Mussolini, à une époque [...] ni de l'ancienne génération d'intellectuels, avec Carlyle, Creasey et les autres, qui saluaient bien bas le militarisme allemand. Tous sont en admiration devant les victoires atroces. (Orwell G., « Raffles and Miss Blandish ». A partir de la trad. de T. Jeleńska, dans Kultura, 1948, n° 9-10, p. 57).
[15] Aron, Raymond, Mémoires, op. cit., p. 298.
[16] Ibid., p. 249.
[17] Ibid., p. 279.
[18] Ibid., p. 297. Malraux décrit à Aron, en 1950, l'état d'esprit des Français en ces termes : C'est un étrange pays qui croit suffisamment à l’arrivée de la guerre pour stocker des sardines (la principale occupation des Parisiens), mais pas assez pour se soucier de sa défense.
[19] Judt T., Après-guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945. D’après l’édition polonaise. Rebis. Poznan 2013, pp. 252-253. Le provincialisme français était une fonction du provincialisme européen. Les contemporains le remarquaient bien : La France d'après-guerre était tout aussi préoccupée par le règlement de comptes, la pauvreté et l’instabilité politique que tout autre pays. Les intellectuels français de gauche de l'après-guerre ont réinterprété la politique mondiale à la lumière de leurs propres obsessions, et projeté sur le monde entier leur sentiment narcissique de l'importance de Paris en France. C’est Arthur Koestler qui les a décrits de manière mémorable, « ces petits charmeurs de Saint-Germain des Prés » sont des « voyeurs qui regardaient les obscénités de l'Histoire à travers un trou dans le mur ». Mais l'Histoire les a placés sur un perchoir privilégié (Ibid., p. 253).
[20] Vous êtes devenu fou avec ce Nowakowski, écrit Giedroyc à Wacław A. Zbyszewski. J'aime bien ce chroniqueur quand il évoque ses souvenirs de théâtre et de Cracovie d’autrefois. La dégénérescence de vous tous sur l'île se mesure par le fait qu'un tel gars puisse être Skarga, Adam Mickiewicz et Wernyhora en une seule personne. J'en ai assez de ces bardes (lettre du 14 juin 1949 ; Archives Institut littéraire).
[21] W.A. Zbyszewski a dépeint Czapski ainsi : Ce peintre hors pair, fin écrivain, grand humaniste, officier courageux, catholique exemplaire, est resté jeune homme, malgré la cinquantaine bien sonnée. De son visage sec, osseux, ascétique vous regardent des yeux bons, doux, presque enfantins. Cet homme de taille imposante ressemble presque à une nounou [...] Le destin a voulu qu'il passe, à l'aube de sa vie, du statut d’aristocrate à celui d'intellectuel polonais désargenté. Après avoir perdu la fortune de ses ancêtres, avec ses propres forces il en a gagné une autre : celle qui réunit l'amitié des gens qui l'ont rencontré, la gratitude de centaines de personnes, un nom dans l'art et la littérature, le bonheur de côtoyer intimement les sommets de l'esprit humain. Il est moins sceptique et sophistiqué que Hostowiec, moins sarmate que Zygmunt Nowakowski, il a moins de fouge et de tempérament que Józef et Stanisław Mackiewicz, moins d’impétuosité que Łobodowski, et moins d’élan poétique que Stanisław Baliński. Il [...] représente la tradition catholique, nationale et libérale, et sa tolérance lui vient de la bonté et non du pessimisme, de cet esprit aristocratique issu autant de sa culture subtile que de ses armoiries. C’est un homme intègre, bon, éclairé, trop artiste pour devenir politicien, trop dégoûté par le sectarisme pour se plier aux diktats de la mode, il est de nature un défenseur, et non un accusateur. (Wiadomości 1949, n° 20).
[22] Londyńczyk, « Kronika angielska ». Literatura na obczyźnie. Kultura, 1965, n° 11/217, p. 53.
[23] Zbyszewski, Wacław, Zagubieni romantycy. Panegiryk − pamflet − próba nekrologu? Paris 1992, Instytut Literacki, p. 159.
[24] Chruślińska, Izabella, Była raz "Kultura"... Rozmowy z Zofią Hertz. Lublin 2003, Ed. Uniwersytet Marii Curie-Skłodowskiej, p. 52.
[25] Voir la lettre du général Władysław Anders au major Józef Czapski du 8 septembre 1947 (Archives IL). Au total ont été transférés les montants suivants de Rome, en octobre 1947 : trois millions lires en dollars (4 000 $), 5 925 000 lires en francs français. Pour se prémunir contre la dévaluation du franc, 480 francs suisses or de vingt francs et cent livres anglaises or ont été achetés. 432 400 francs en billets de banque restaient dans les caisses (voir l'annexe 1 du Rapport sur la liquidation des agendas de l'Institut littéraire de Rome, daté à Paris du 14 novembre 1947.
[26] Lettre de Czapski à Józef Zielicki du 3 décembre 1947 (Archives IL) ; voir aussi : ”Ja myślałam, że my jesteśmy nieśmiertelni… Rozmowy z Zofią Hertz”. Listopad 2001 r. Dans : H. M. Giza, Ostatnie lato w Maisons-Laffitte. Wroclaw 2007, Kolegium Europy Wschodniej, p. 144-145. Herling en a gardé un ressentiment et, quand par hasard il a croisé Zofia Hertz à Londres, en 1949, il a fait semblant de ne pas la connaître.
[27] Lettre de Józef Czapski à Stanisław Vincenz du 5 août 1949 (Ossolineum, Section des Manuscrits, II 17 618). Le peintre fait probablement allusion à l'emploi que Giedroyc a trouvé pour Herling et sa femme à la librairie Libella, à la fin du mois d'avril 1947. Le salaire mensuel de 8 000 francs était faible, mais l'écrivain pouvait compter sur des revenus supplémentaires de l'Institut littéraire. Czapski, dans une lettre à Józef Zielicki du 16 décembre 1947 (Archives IL), mentionne le ressentiment de Herling qui n’aurait pas reçu d'honoraires pour l'anthologie W oczach pisarzy [Dans le regard des écrivains]. Londres était en proie aux ragots, et des rumeurs absurdes parvenaient à Giedroyc : Gustaw se vante, dit-on, d'avoir envoyé en Allemagne (environ 600 exemplaires) des imprimés mettant en garde contre Kultura, qui fait le travail de propagande de Varsovie avec l'argent du Deuxième corps de l’Armée polonaise. Je ne le crois pas et je suis sûr que c'est une rumeur. Cependant, j'ai écrit à Szmaciarz qu’il le vérifie discrètement (lettre de Giedroyc à Czapski du 14 janvier 1950 ; Archives IL).
[28] Lettre de Zofia Hertz à Giedroyc du 22 septembre 1947 (Archives IL). Zygmunt reprend les arguments de sa femme : A propos de Gustaw, je vous confirme nos coups de colère. En effet, le gars est à l'aise, il aime la sécurité [...]. Je vais lui envoyer l'adresse de Prudential, qu’il s'y assure contre le rhume, la prime assurant le succès des toiles de Krystyna serait trop élevée (lettre de Z. Hertz à Giedroyc du 23 septembre 1947 ; Archives IL).
[29] Lettre de Zofia Hertz à Giedroyc du 11 septembre 1947 (Archives IL).
[30] Lettre de Giedroyc à Pragier du 26 novembre 1947 (Archives IL). Ce point de vue est loin d'être partagé par tous. Wacław Zbyszewski a travaillé avec Herling, en 1952, à Radio Free Europe à Munich. Après le suicide de sa femme, il écrit à Giedroyc : Je ne serai pas surpris que Herling fasse la même chose parce que je trouve qu’il est complètement hystérique et mégalomane, et il devra un jour admettre qu'il a, à son propos, une opinion bien trop haute : c’est un petit talent, un « raseur » qui se prend pour Koestler. Son livre ne s’est pas du tout vendu alors qu’il s'attendait à Dieu sait quoi (lettre de W. Zbyszewski à Giedroyc, novembre 1952 ; AIL).
[31] La lettre de Czapski à Vincenz, du 30 juin 1949 ; Département des manuscrits, Ossolineum, II 17 618.
[32] Piotr Kłoczowski, dans ses réflexions sur le destin du cercle de Kultura et sur son ethos qui peuvent étonner en Occident à l'époque de la prospérité et du bien-être, attire l'attention sur la dernière phrase d’Une famille d’Europe centrale… de M. Czapska, la citation de la Lettre aux Hébreux de saint Paul : « Car nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir ». (H. 13, 14). Il interprète ce point dans le contexte du conflit de deux attitudes : l'altruiste, affirmant la communauté spirituelle des hommes et la consumériste. (M. Dziewulska, P. Kłoczowski, Rozmowa z pamięci. Nie chciałbym zbyt dopowiadać…, Polska Sztuka Ludowa. Konteksty 2003, n° 1-2, p. 192.
[33] Hostowiec P. [i.e. J. Stempowski], Notatnik nieśpiesznego przechodnia. Dwadzieścia lat później. Kultura 1969, n° 11(267), p. 12.
[34] Chomęcki J. [i.e. K. Morawski], Czym jest „Kultura”. List do zespołu „Kultury”. Kultura 1951, nr 12/50, p. 154-155.
[35] Zbyszewski W. A., Zagubieni romantycy. Panegiryk − pamflet − próba nekrologu? W: Idem, Zagubieni romantycy i inni. Paris 1992, Instytut Literacki, p. 149-150.
[36] Ibidem, p. 141-142.
[37] Voir : Romanowiczowa Z., Popołudnie z przeszłości. W: O „Kulturze”. Wspomnienia i opinie. Londres 1987, Puls Publications.
[38] Miłosz, Cz., Był raz… Dans : Idem, Zaczynając od moich ulic. Paris 1985, Instytut Literacki, p. 317.
[39] Lettre de Jerzy Stempowski à Stanisław Stempowski, 14 juin 1949, Cabinet des manuscrits, BUW 1570.
[40] Zbyszewski, W.A. Zagubieni romantycy …, op. cit., p. 142.
[41] Zbyszewski, W.A. Zagubieni romantycy…, op. cit., p. 148.
[42] Lettre de Zofia Hertz à Mieroszewski du 20 janvier 1955 r. (AIL).
[43] Les goûts culinaires de Giedroyc provenaient probablement de sa maison familiale. Au sommet de cette hiérarchie se trouvaient les koldunay lituaniens. Il aimait aussi les tripes à la mode de Varsovie, épaisses, avec de la marjolaine et du paprika, il y ajoutait… du parmesan. Il aimait autant le pilaf de mouton et les zrazy au sarrasin dans une sauce aux champignons. Il aimait la soupe appelée botwinka, épaisse, avec de l'aneth et des pommes de terre, la soupe à l'oseille avec des œufs et des pommes de terre (information de Mme Pelagia Landorf, cuisinière dans la maison Kultura dans les années 1990).
[44] Ibid, p. 150.
[45] Ostatnie lato w Maisons-Laffitte. Sierpień 2000 – listopad 2001. Rozmawiała i opracowała H.M. Giza. Wrocław 2007, Kolegium Europy Wschodniej, p. 134. Voir aussi les remarques de Czapski : Toute Kultura m'est chère, précisément parce qu'elle se substitue d’une certaine manière à ce qui est un milieu, un lieu de rencontre de nos pensées. Ici pourtant [...], seule l’obsession furieuse de Jerzy G. me donne l'espoir que notre Kultura ne s'effondrera pas. Mais lui aussi a été complètement épuisé ces derniers temps. Je suis parfaitement d’accord avec vous, quand vous dites que tout doit s'écrouler si le tissu même de la vie se perd, si la contemplation et la communication désintéressée disparaît. Mais que faire quand on n'a vraiment pas la force de supporter ce que l'on devrait. Le plus simple est peut-être de faire ce dont on n’est pas capable. (Lettre à Vincenz, du 30 décembre 1947, Ossolineum, Section des manuscrits, II 17 618).
[46] Lettre de Giedroyc à W.A. Zbyszewski, le 16 février 1956 (AIL).
[47] Miłosz, Cz., Był raz… W: Zaczynając od moich ulic. Paris 1985, Instytut Literacki, p. 319.
[48] Zbyszewski W.A., Zagubieni romantycy…, op. cit., p. 156 : C’est surtout Zygmunt, ce vrai chef de Laffitte, qui me manque. Tu ne réalises même pas que, sans lui, Kultura n'aurait pas tenu une semaine. C'est un véritable forçat. (Lettre de Zbyszewski à Giedroyc de janvier 1954 ; AIL).
[49] Lettre de Giedroyc à J. Czapski, le 17 mai 1951 (AIL).
[50] Lettre de Mieroszewski à Giedroyc, le 20 juin 1949, dans: J. Giedroyc, J. Mieroszewski. Listy, p. 51.
[51] A. Mencwel, Przedwiośnie czy potop. Studium postaw polskich w XX wieku. Czytelnik. Warszawa 1997, p. 307. La rédaction d'Ogniwo était située dans l'appartement des Stempowski, rue Lipowa, dans le quartier de Powiśle à Varsovie. Jerzy Stempowski s’en souvient très bien : J'ai passé une partie considérable de mon enfance et de ma jeunesse parmi des gens qui écrivaient, faisaient des corrections, se livraient à toutes sortes d’activités littéraires qui aboutissaient rarement à des résultats notables (O czernieniu papieru. W: Eseje dla Kassandry. Paris 1961, Instytut Literacki, p. 7).
[52] Lettre de Wittlin à Giedroyc, le 4 avril 1949 (AIL).
[53] Lettre de Giedroyc à Wittlin, le 22 avril 1949 (AIL). Giedroyc présente son activité d’avant 1939 comme celle d’un non-conformiste solitaire, ce qui est peu exact. Plus tard, il ne fera pas de déclarations similaires.
[54] Zbyszewski était pessimiste quant au niveau des Polonais en général. Au programme éducatif de la future Pologne libre, il propose la tâche suivante : la Pologne doit non seulement assurer une éducation bien plus approfondie et pratique, mais aussi modifier notre caractère national : nous guérir de l'hystérie, de la nonchalance, de la paresse, de l'apitoiement sur soi, mais surtout de l'hystérie. Il ne semble toutefois pas croire à la réussite d’un tel programme : il ne faut pas se faire d'illusions. Il n'y a aucun espoir de réformes raisonnables en Pologne. Il y aura une surenchère de platitudes, de démagogie, de patriotisme, il y aura une guerre de factions, des querelles politiques et, dans la pratique, une nouvelle bureaucratie se développera, et elle fera de la Pologne une vache maigre mais bonne à traire. (Zbyszewski, W.A. « Zmartwienia pesymisty ». Kultura 1949, n° 2(19), p. 83-84).
[55] Giedroyc le note : La plupart des personnes jeunes et d'âge moyen sont absorbés par l'argent et elles s’éloignent complètement des affaires polonaises. Cela s'applique non seulement à la politique, mais aussi à la culture, et à toute la culture. C'est un phénomène à tel point massif qu'on peut supposer que ces gens ont reçu un bien modeste bagage intellectuel dans leur pays, famille, école, dans je ne sais quoi, peu de tradition, en général. Les jeunes nationalistes ont encore un peu plus de vigueur, mais c'est de l’ONR et, franchement, à cela, je préfère encore rien (lettre à Marian Pankowski du 4 février 1955 ; AIL).
[56] [Ils ont également perdu leur sens du ridicule. À l'automne 1953, il y avait quatre partis travaillistes en exil (voir : Londyńczyk [i.e. J. Mieroszewski], „Kronika angielska”. Dreyfusiada. 1953, n° 10(72), p. 89).
[57] Zarzewski, S., Fetysze i fikcje emigracji. Kultura 1953, n° 9(/71), p. 5.