Zdjęcie
Jerzy Giedroyc i Henryk Giedroyc przed domem Instytutu Literackiego. Maisons-Laffitte, przełom lat 50. i 60. XX. w. Fot. N.N. / Sygn. FIL00318
© INSTYTUT LITERACKI

Monsieur Henryk

"Zeszyty Historyczne" 2010, z. 171

MAREK ŻEBROWSKI


Aux premiers jours de la guerre, Jerzy Giedroyc voit son frère cadet Henryk, surnommé par ses proches « La Huppe » (Dudek, en polonais). Jerzy m’a promis un travail dans le deuxième Département du Ministère des affaires étrangères. Mais il est brusquement parti, note Henryk, âgé alors de dix-sept ans.

Ce n’était probablement pas une mauvaise idée. Henryk la Huppe était à l’époque un lycéen à peine sorti du nid familial, mais à plus long terme – sans la défaite de septembre 1939 – qui sait… ? Il avait un don pour les langues, « un vrai singe », disait-il à son propos, les bonnes manières d’avant-guerre inculquées dans la maison, il était de nature réservée, intimiste, enclin plutôt à écouter qu’à s’exprimer. Quand il prenait enfin la parole, il étonnait plus d’un par la précision de sa pensée et par son humour intelligent, ironique (et auto-ironique !), « à l’anglaise ». De plus, il gardait toujours une posture élégante. Peut-être aurait-il été un bon vrai diplomate ou celui à qui l’on confie des missions au-delà des affaires étrangères… Qui sait ?

Toutefois, à ce moment, Jerzy Giedroyc n’a pu savoir que le monde dans lequel il fonctionnait, dans lequel il était en effet en mesure d’arranger la vie professionnelle de son frère au sein des structures de l’Etat polonais, allait bientôt faire partie du passé. En l’emmenant avec lui dans son voyage – et ils ne reviendraient plus jamais en Pologne – il prenait la responsabilité de son cadet, et il allait s’occuper de son avenir du mieux qu’il pouvait, dans les circonstances que lui imposait sa vie. A Bucarest, il veille à ce que Henryk la Huppe passe son baccalauréat. Tous deux s’engagent ensuite dans l’armée et, après la fin de la guerre, Jerzy fait ce qu’il peut pour que son cadet poursuive ses études : tout d’abord, à l’Ecole polytechnique de Turin, puis dans une école de langues étrangères à Paris. Il se sentait toujours responsable de ce frère de vingt et quelques années, qui – fraîchement démobilisé après l’aventure de la guerre – ne manifestait aucun enthousiasme pour les manuels. Il l’a plusieurs fois tiré d’une mauvaise passe – quand, sur un coup de tête, la Huppe voulait se marier sur-le-champ avec une belle Italienne qui avait de l’admiration pour son uniforme militaire, ou quand il avait contracté des dettes. Mais Jerzy ne se rendait pas compte à quel point son cadet était conscient de cette responsabilité fraternelle, à quel point il s’efforçait de résoudre par lui-même ses problèmes, pourvu que Jerzy n’en sache rien…

Finalement, en 1952, probablement à l’instigation de Zofia et de Zygmunt Hertz, Jerzy décide de faire venir à Maisons-Laffitte son frère cadet qui vivotait dans la grisaille d’une Angleterre appauvrie de l’après-guerre. « On lui a attribué une tâche, un bureau, un lit et assuré de quoi vivre. Il est entré dans le phalanstère. Seulement, on ne lui a donné aucun autre rôle à jouer », écrit à son propos Julia Juryś, dans les « Cahiers littéraires ». Ce n’est probablement pas toute la vérité. Henryk la Huppe jouait un rôle important mais, de l’extérieur, imperceptible. Il était bien plus que les autres membres du « phalanstère ». Il était non seulement un collaborateur mais, peut-être, la seule personne véritablement proche de Jerzy Giedroyc. Lui, qui cultivait littéralement sa solitude, aimait son frère cadet et lui accordait une confiance sans limite – même si ce n’était pas un amour idéal. « Ne le fais pas. Nous, les Giedroyc, ne réussissons pas nos mariages », a-t-il dit à Henryk au moment où ce dernier l’a informé de son futur mariage avec Leda Pasquali. Bien que le mariage de l’aîné ne fût pas en effet une réussite, celui du cadet le serait : entre Henryk et Leda, il y a eu de l’amour, de l’amitié et du bonheur pendant des dizaines d’années. Cela le distinguait du « monastère » de Maisons-Laffitte : il avait sa vie à lui et savait en profiter.

Pour cette raison, il ne ressassait pas le passé, et le convaincre de raconter ses souvenirs allant au-delà de quelques anecdotes, qu’il répétait inlassablement aux journalistes en visite à Maisons-Laffitte, ressemblait presque à un miracle. Le moment le plus propice pour ce faire était le dimanche où nous restions seuls à la maison avenue de Poissy. Le maître du lieu acceptait ma présence studieuse dans les archives à titre exceptionnel puisque, comme il le répétait souvent, le week-end, c’était une maison et non pas une institution. Un silence à deux est habituellement la preuve d’une amitié solide ; pour Monsieur Henryk, c’était un examen d’entrée appliqué à ses futures connaissances. Après quelques échanges pendant le déjeuner qu’il préparait parfois lui-même – il était amateur de bonne cuisine – nous discutions l’après-midi ou le soir, un verre de whisky à la main, dans le jardin d’hiver. Tout ce qui était actuel, présent l’intéressait, il se passionnait pour telle ou telle nouveauté technique, se réjouissait de chaque nouvel appareil numérique ou téléphone et, parfois, jusqu’à tard le soir, il surfait sur la toile. C’était là où j’arrivais à mes fins, en le faisant parler. Il racontait alors ses flirts à Bucarest et en Italie, la vie dans les abris militaires de Tobrouk, il parlait de Jerzy, de Zofia, Zygmunt, Józef, et aussi de Leda et de leurs vacances à Formentera, de tout ce qu’il y avait à raconter, de tout ce dont personne ne saurait plus rien.

Bien qu’il ait aimé son frère, qu’il n’ait jamais franchi la ligne politique déterminée par Jerzy, il savait parlait de lui avec réalisme. Et lorsqu’on lui posait une question sur certains propos tranchés du Rédacteur, lesquels différaient de ses propres opinions, il esquissait un sourire : « L’a-t-il dit parce qu’il le croyait ou parce qu’il estimait qu’il fallait le dire, justement à ce moment… ? Jerzy était un homme politique, moi, je ne suis pas obligé de l’être. » Pourtant, son inébranlable loyauté envers son frère le conduisait toujours à émettre le message officiel de Maisons-Laffitte qui correspondait pleinement au testament politique du Rédacteur. Il ne cachait pas que les obligations qu’il avait dû accepter à « Kultura », à l’âge de quatre-vingt-et-un ans, lui pesaient, mais il les remplissait sans faillir, payant ainsi la dette qu’il avait selon lui contractée auprès de Jerzy.

Tant qu’il y avait un Giedroyc à Maisons-Laffitte, « Kultura » devait exister. Les habitants de cette petite ville n’ont jamais su que ce nom était devenu un repère moral pour un grand nombre de personnes. Et ils ne sauront jamais que, pour beaucoup, ce point de repère s’est pour toujours éteint la nuit du 21 mars 2010, « Kultura » rejoignant le passé au moment où disparaissait Henryk Giedroyc. Il n’était pas seulement le « frère du Rédacteur », mais avant tout un homme intelligent, fort bienveillant et amical, une personne bonne, simplement.

"Zeszyty Historyczne" 2010, z. 171

Marek Żebrowski

trad. Anna Ciesielska-Ribard

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