Zdjęcie
Bohdan Osadchuk et Jacek Krawczyk lors de la cérémonie à la maison de Kultura. / Sygn. FIL04010
© INSTYTUT LITERACKI

Et que fait-on maintenant, messieurs les Polonais ?

A propos des piètres résultats de la réunion de Jabłonna.

BOHDAN OSADCZUK


Au printemps, après la rencontre à Jabłonna entre les parlementaires de Kiev et ceux de Varsovie, il semblait que la collaboration polono-ukrainienne allait enfin quitter les journaux et autres papiers pour faire l'objet d'une action concrète. Mais l'automne commence, et les relations entre nos deux pays sont tout aussi stériles que par le passé. Des annonces grandioses et des nobles idées il ne reste que des souvenirs. Et comme tous ces projets – autant les ambitieux que les ordinaires – n’étaient que du verbiage, que personne ne les a couchés sur papier dans un compte-rendu, ils risquent d'être vite oubliés. Il en découle qu’avaient raison les conseillers et les observateurs qui ont suggéré aux politiciens de ne pas se séparer avant de créer quelque commission mixte ou un comité de collaboration politique intérimaire pour qu'un tel organe informel supervise à l'avenir la réalisation des tâches basiques au moins, dont les sénateurs et les députés des deux nations avaient parlé avec tant d'engagement.

Et il y était question d’affaires importantes, comme la création de centres culturels et scientifiques, polonais à Kiev et ukrainiens à Varsovie, de l'échange diplomatique et consulaire, dans le cas de la Pologne, le rang des représentations existantes dans la capitale ukrainienne et à Lvov devraient être simplement rehaussé alors que, dans le cas de la République ukrainienne, il faudrait créer de nouvelles institutions. Jusqu'à présent, rien n'a été accompli pour faire avancer ces deux questions de taille. Même après que le Parlement ukrainien ait pris, le 16 juillet, une résolution sur la souveraineté de l'État ukrainien, personne en Pologne n'a décidé de prendre des mesures concrètes pour établir des relations diplomatiques officielles. Cela s’est terminé par une vague résolution votée au Sénat varsovien ; quant à la presse polonaise, elle a montré peu d'intérêt pour le sujet. A la Diète, la question de l'Ukraine n'a pas suscité le moindre intérêt, ou quand ça a été le cas, c'est plutôt dans un sens négatif.

A Jabłonna, et lors des réunions qui se sont parallèlement déroulées au ministère de la Culture et de l'Éducation, d'autres questions ont été abordées, celle de la protection des monuments culturels nationaux et la création d'une commission mixte chargée de réviser les manuels d'histoire. Nous savons parfaitement qu'il y a beaucoup à faire dans ces deux domaines. En Pologne, il existe depuis des années le syndrome du « Cimetière des aiglons » et de la « collection Ossolineum ». Mais quand on regarde les cimetières ukrainiens dévastés, de Chełm et dans la région de Lemkos, détruits et pillés de manière souvent barbare, l'échelle des inégalités se situe autour de un à cinq cents, en faveur des Ukrainiens. Aujourd’hui ces chiffres ne signifient plus rien parce que personne au monde ne sera en mesure de restaurer le cimetière orthodoxe de Chełm Lubelski. Là-bas même les ossements des morts ont été jetés à la poubelle ! Après le pillage, ses vieilles tombes restent vides, béantes. Les croix renversées et cassées, les pierres tombales brisées, le cimetière entier est recouvert de mauvaises herbes. La seule tombe qui n’a pas été profané c appartient à la famille d’un défunt qui s’était distingué dans la cause du rapprochement polono-ukrainien, à l'époque de Piłsudski et de Petlioura. Pour les Ukrainiens, Chełm n'est pas un objet de revendication territoriale, mais c’est un lieu fortement ancré dans l'histoire ukrainienne, la place forte fondée par notre dynastie de Halytch-Volhynie, ou encore le lieu de naissance du célèbre auteur de l'histoire de l’Ukraine, Hrouchevsky. Entre parenthèses, il n’y a pas dans la ville la moindre plaque commémorative avec le nom de ce grand historien.

En longeant les anciennes routes frontalières à travers les régions de Chełm, Hrubieszów, Przemyskie et des Lemkos d’autrefois, un visiteur occidental, pas très clérical, n'en croit pas ses yeux. Par-ci des églises orthodoxes à moitié détruites, par-là des cimetières dévastés, puis d'anciens bourgs effacés du paysage, des églises orthodoxes sauvagement transformées en catholiques dont l'iconostase a été enlevée, comme si les prêtres catholiques romains n'avaient pas le droit de dire leurs prières dans l'ancien intérieur orthodoxe. Chaque kilomètre de ce pays dément les déclarations grandiloquentes de Rome et de Częstochowa sur l'œcuménisme et sur la communauté des Églises chrétiennes. Ce qui fait penser à la phrase d'un vieux prêtre grec catholique d’avant la Seconde Guerre mondiale : « Les Polonais sont de grands catholiques, mais des chrétiens nuls ».

Je m’étonne que les Ukrainiens n'aient pas encore écrit et publié un « Livre noir » sur le sort de la foi gréco-catholique et orthodoxe à travers ces Champs sauvages où s’étaient installés les nouveaux arrivants, venus après l'action « Wisła », terres qu’ils n'ont pas réussi à développer jusqu'à ce jour. Au lieu de cela, le musée en plein air de Sanok présente à la foule de Polonais et d'étrangers la version falsifiée, incroyable de l'histoire et de l'ethnographie tandis que, pas loin, dans le mausolée Świerczewski de Jabłonki - construit pendant la loi martiale avec un énorme budget, à ce que l’on dit sur l’ordre personnel de Jaruzelski – se déverse sur les excursions de Polonais et d’étrangers un flot de propagande anti-ukrainienne, dans l'esprit du national fascisme. En écoutant ce discours de haine, il est difficile de comprendre que ce foyer de mensonges et de calomnies n'ait pas été fermé ou transformé en auberge de tourisme. Pourtant, cette question a été abordée à Jabłonna.

La question de la révision des manuels scolaires n'a pas avancé d'un pouce. Et avant cela, il n’est pas possible de mettre en marche d'autres actions dans la culture, l'art, l'éducation. Je me rends bien compte que l’on ne peut chasser ces fantômes du passé sans avoir résolu la question primordiale : juger le caractère criminel de l'action « Wisła », menée sur ordre d'Osóbka-Morawski, Gomułka et Radkiewicz par des généraux le communiste Korczyński et le nationaliste Mossor. Je reviens encore à la réunion de Jabłonna, où le président du Comité des minorités à la Diète, le député Wuttke, a lu un projet de résolution du parlement qui devait être adopté dans les jours à venir. Les Ukrainiens attendent, toujours en vain, cet acte de justice historique élémentaire. Ils ont jusqu'à présent reçu, comme substitut, une résolution du Sénat totalement édulcorée, au contenu presque neutre par rapport au projet parlementaire, ce dernier ayant été mis sous le tapis.

Au lieu de soutenir l'initiative du Sénat, la minorité ukrainienne de Pologne a eu droit à une nouvelle leçon sur la participation présumée des Ukrainiens dans la répression de l’Insurrection de Varsovie. Les explications de Borys Levytsky dans Kultura, des années 1960, et avant cela de l'historien de droite Zygmunt Wojciechowski dans la revue de Varsovie Dzieje Najnowsze (L’Histoire récente) et lors de plusieurs conférences scientifiques polono-ukrainiennes en Occident n'ont pas fonctionné. Pour couronner le tout, la déformation nationaliste est maintenant servie à ses lecteurs par Gazeta Wyborcza, qui a donné la parole au nouveau génie de l'historiographie polonaise, un certain Maciej Kledzik.

Tout ceci se déroule sur fond d'un étrange malentendu. Depuis le début du mouvement Solidarnosc, la minorité nationale ukrainienne a été, par rapport à toutes les autres, la plus favorable à la renaissance d'une Pologne indépendante. Cette loyauté sans précédent dans l'histoire de la République n'a pas trouvé la moindre récompense sur le plan politique et juridique. Même le nouvel accord entre l'État et l'Église ne reconnaît pas l'égalité des droits à l'Église ukrainienne gréco-catholique. Les Ukrainiens ont patiemment attendu depuis les élections de l'année dernière, mais leur patience est à bout. En témoigne l'appel lancé par l’Union ukrainienne, qui regroupe des citoyens polonais de nationalité ukrainienne, au gouvernement de la République de Pologne pour que celui-ci fasse la lumière sur les crimes commis contre les Ukrainiens détenus dans le camp de concentration de Jaworzno, près de Cracovie, entre 1947 et 1949, et qu'il traduise en justice les responsables de ces crimes qui, crimes contre l'humanité, sont imprescriptibles.

Cet appel sonne comme un accent nouveau, le signe du réveil de la minorité ukrainienne de sa paralysie et, en même temps, c’est une manifestation de l'impatience de tous les Ukrainiens de Pologne face aux atermoiements, à l'étrange indifférence de la jeune démocratie polonaise à l'égard des minorités nationales, privées de toute personnalité juridique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Espérons que l'appel de la communauté ukrainienne ne sera pas ignoré. La Varsovie du pouvoir, tout comme celle de la presse, devrait se rappeler que les droits et l'avenir de la minorité ukrainienne en Pologne et de la minorité polonaise en Ukraine ne sont que deux affluents d'un même fleuve.

En attendant, camps, coteries, groupuscules et individus sont absorbés au bord de la Vistule dans des querelles de clochers, et ils semblent avoir complètement perdu le courage et l'imagination nécessaires pour définir leur propre conception de la politique de l’Est. Hypnotisée par la crainte d'une Allemagne unie, Varsovie se concentre sur la « défense » de ses intérêts à la frontière Ouest, comme s'ils étaient de quelque manière que ce soit sérieusement menacés. Succombant aux anciens mythes nationaux-communistes, on a repris les vieux sentiers battus à l'Est. Tout près, de l'autre côté de la frontière, en Lituanie, en Ukraine, et même en Biélorussie, des transformations dramatiques d'une ampleur historique sont en cours, obligeant Gorbatchev à modifier radicalement sa politique envers les minorités, pendant ce temps, la République tremble de peur que, Dieu nous en préserve, Moscou ne lui retire pas sa confiance. Le monde change de jour en jour, mais les législateurs polonais continuent de suivre les panneaux indicateurs qui est un étrange mélange de principes et d’avertissements de Dmowski, Stomma et Kisielewski.

Les pilotes de la politique étrangère de Varsovie rêvent de voir une constellation russo-française, comme une double assurance. Mais cette autre Russie, celle de Boris Eltsine et des forces démocratiques, est allée plus loin que ne l'imaginaient les néo-démocrates polonais.

Cette tournure des événements accroît une désillusion envers la Pologne d’aujourd’hui, à Vilnius, Minsk et Kiev. Pour cause de ces espoirs déçus de Kiev, les relations ukraino-polonaises ressemblent à la tragédie des relations polono-tchécoslovaques. Tout comme l'Ukraine qui courtise la Pologne en vain, Varsovie a longtemps courtisé Prague et s'est fait éconduire. Les Tchèques ne sont pas les seuls à rejeter les offres de Varsovie pour diverses raisons, les souvenirs de Zaolzie, la participation polonaise à l'invasion de 1968 et les gaffes du président Wałęsa devant le président Havel, même la Hongrie, le « frère » mythique réagit froidement aux déclarations polonaises d’amitié. Entre-temps, les partenaires rêvés du Sud ont décidé d'une formation complètement différente avec l'Autriche, l'Italie et la Yougoslavie. Pendant ce temps, à l'Est de la Pologne, germe l'idée d'une coopération sur l’axe Baltique-Mer Noire, une zone englobant les républiques baltes, avec le Belarus, l'Ukraine et la Moldavie, collaborant économiquement avec la Russie, ce qui n'est pas la pire des idées.

Je comprends que les Polonais sont à l’heure actuelle plongés jusqu’au cou dans des luttes internes et se soucient peu de la politique étrangère. Mais ce polono-centrisme et cette passivité, voire une aversion pour les voisins de l'Est pourraient un jour coûter cher à la République d'une seule nation. Les opportunités de nouvelles alliances, qui se présentent une fois par siècle, peuvent être gagnées ou perdues. Un observateur ukrainien de la politique polonaise d’aujourd’hui constate que la Pologne se trouve sur une très bonne voie d’une nouvelle défaite.

[Kultura, 1990, n° 9(516)].

Pomiń sekcję linków społecznościowych Facebook Instagram Vimeo Powrót do sekcji linków społecznościowych
Powrót na początek strony